À la fin du 19e siècle, un frêle religieux de la Congrégation de Sainte-Croix, portier au collège Notre-Dame à Montréal, contemplait souvent la montagne qui se dressait devant sa fenêtre. Il y voyait un oratoire dédié à la gloire de saint Joseph. Cette vision était portée par une foi à transformer les montagnes. Le rêve deviendra réalité. À sa mort, le 6 janvier 1937, un million de personnes convergeront vers la dépouille de l’humble frère, au pied de l’Oratoire du Mont-Royal, le plus grand lieu de pèlerinage au monde consacré à saint Joseph.

Frère André a été canonisé à Rome par Benoît XVI le 17 octobre 2010, devenant ainsi le premier homme né au Canada à recevoir une telle grâce. Normalement, la fête liturgique d'un saint est associée à celle de sa mort, considérée comme le jour de sa naissance au Ciel. Mais comme la solennité de l'Épiphanie est célébrée le 6 janvier dans plusieurs pays, le Vatican a fixé la fête liturgique de saint frère André le 7 janvier, lui gardant ainsi une dimension internationale dans toute l'Église. Voici un survol de sa vie.

Homme de métiers et de prière

Alfred Bessette est né le 9 août 1845 à Saint-Grégoire d’Iberville. Comme beaucoup de paysans canadiens-français, sa famille est pauvre. Le père travaille le bois et la mère s’occupe de la famille. C’est elle qui lui a transmis la dévotion à saint Joseph, comme il le dit lui-même : « Dès mon jeune âge, j’avais de la dévotion envers saint Joseph. Je n’ai jamais manqué de le prier. Cette dévotion m’avait été enseignée par ma mère. » Le père meurt en 1855, laissant dix enfants à une mère malade qui mourra trois années plus tard. Alfred sera donc orphelin dès l’âge de 12 ans.

Commence alors l’apprentissage de divers métiers. La santé fragile du petit Bessette l’empêche d’effectuer des travaux pénibles. Il sera alors boulanger, ferblantier, apprenti cordonnier, forgeron. À la suite d’autres Canadiens de cette époque, il travaille dans les usines de textile de la Nouvelle-Angleterre aux États-Unis. Il a 20 ans, parle anglais, mais l’avenir semble terne.

Il revient au Québec en 1867. Comme il arrive souvent dans toute vie humaine, c’est par l’entremise d’un autre que le jeune homme trouvera sa voie. Le curé de sa paroisse, l’abbé André Provençal, avait remarqué depuis longtemps la piété d’Alfred. Il le présente aux religieux de la Congrégation de Sainte-Croix, à Montréal. « Je vous ai envoyé un Saint », écrit-il au supérieur du Collège. Parole prophétique. Mais on hésite, compte tenu de sa santé fragile et de son instruction limitée. Finalement, il est accepté au noviciat en décembre 1870. C’est l’année où Pie IX déclare saint Joseph patron de l’Église universelle.

Homme de service et de souffrance

Frere-AndreAlfred Bessette reçoit le nom de frère André, en souvenir de son ancien curé. Il remplira la fonction de portier au collège Notre-Dame pendant quarante ans. « Quand je suis arrivé au collège, ils m’ont mis à la porte, et j’y suis resté 40 ans », disait-il avec humour. Dévoué au service de sa communauté, il est jardinier, coiffeur, laveur de planchers et de vitres, commissionnaire. Il visite souvent les malades. Ce qui le caractérise le plus : sa fervente dévotion à saint Joseph qu’il propage autour de lui, surtout auprès de ceux qui souffrent physiquement. Un élève est guéri à l’infirmerie, d’autres malades témoignent aussi des « pouvoirs » de l’humble frère. Lui, il médite les souffrances de la passion du Christ et déclare sans ambages : « Ce n’est pas moi qui guéris. C’est saint Joseph ».

La polémique s’installe dans la communauté. Les moqueries fusent d’un peu partout. Rien ne détourne frère André de sa mission de réconfort auprès des malades qui sont de plus en plus nombreux à demander son secours. Il les reçoit toute la journée dans son petit bureau. Un rêve le talonne : construire une chapelle en bois à saint Joseph sur le flanc de la montagne, en face du collège. Il commence la construction en 1904 avec l’aide de laïcs. La chapelle sera agrandie plusieurs fois. Il répète à qui veut l’entendre : « Allez à saint Joseph, priez-le, il ne vous laissera pas tomber en chemin ». Mais il ne sépare pas ce que Dieu a uni : « Quand la Sainte Vierge et saint Joseph intercèdent ensemble, ça pousse fort. »

La réputation de frère André dépasse les frontières. On le surnomme le thaumaturge du Mont-Royal. À un clerc qui le met en garde contre l’orgueil, il répond en sortant de sa poche une statuette de saint Joseph : « Il n’y a pas de danger : j’ai saint Joseph dans ma poche. » Toujours cet humour des saints qui s’apparente à l’humilité et à la joie.

On signale en 1916 plus de 400 guérisons. Devant tant de merveilles, il rend grâce : « Comme le bon Dieu est bon ! Ces guérisons font du bien à ceux qui sont guéris et aux autres qui en entendent parler. Cela augmente leur foi ». L’appui populaire et le soutien du diocèse donnent des ailes à son projet. En 1917, la crypte, pouvant accueillir 1000 personnes, est inaugurée. Et l’on commence en 1924 la construction de la Basilique qui ne sera terminée qu’en 1967. Le Frère André ne verra pas son rêve totalement réalisé, mais l’impulsion du départ étant donnée dans la foi et l’humilité, saint Joseph fera le reste. Que de fois n’a-t-il pas dit : « L’Oratoire, ce n’est pas mon œuvre, le bon Dien en fera ce qu’il veut ».

Homme de foi et de confiance

Frère André continue sa mission d’amour avec pauvreté, simplicité et compassion. Chaque matin, il monte à l’Oratoire, tel un Moïse qui intercède pour le peuple. Il accueille les visiteurs, surtout les plus démunis ; il les écoute, les frotte avec la fameuse huile de Saint-Joseph qu’il prélève d’une lampe votive. Pour lui, il n’y a rien de magique dans ce geste de foi. Le bon Frère sait que ce signe manifeste la confiance en Dieu et en saint Joseph. Il disait : « Ce n’est pas l’huile qui est importante, mais la foi que vous avez en Dieu ».

C’est le père Narcisse Hupier, un français du Mans arrivé à Montréal en 1872, qui va parler au frère André de l’huile. Le père Hupier lui raconte que cette dévotion populaire consiste à retirer de l’huile d’olive d’une lampe qui brûle devant une image de la Sainte-Face de Jésus. Joseph Dupont, de la ville de Tours, développe ce culte de la Sainte-Face qui va tant marquer Thérèse de Liseux, dont son nom en religion est Thérèse de l’Enfant-Jésus et de la Sainte-Face. Ami du bienheureux Basile Moreau, le fondateur des pères de Sainte-Croix, monsieur Dupont a remarqué que des guérisons s’opèrent lorsqu’on frotte les malades avec un peu de cette huile. Cet acte de foi frappe l’imagination de frère André, d’autant plus qu’il s’entend très bien avec le père Hupier et qu’il a confiance en lui. Il va adapter cette pratique venue d’ailleurs en substituant à l’image de la sainte Face la statue de saint Joseph.

Frere-andre-une-pensee-par-jourPlusieurs demandent des guérisons, trop peu l’humilité et l’esprit de foi, au dire de frère André. « Il faut commencer par soigner l'âme. Avez-vous la foi? Croyez-vous que le bon Dieu peut faire quelque chose pour vous? Allez vous confesser au prêtre, allez communier, vous reviendrez me voir ensuite ». Malgré quelques sautes d’humeur, son humilité a toujours le dernier mot, et surtout son sens de l’humour qui le rend si humain et si proche des autres. Pour les petites gens, nul doute que cet homme est un saint, car il irradie l’amour de Dieu.

Homme de pénitence et d’espérance

Frère André est un pénitent qui jeûne, dort peu, accueille les épreuves comme une grâce. La tristesse ne l’atteint pas vraiment, car il est de tempérament jovial. Sa recette : « Il ne faut pas être triste mais gai ; en faisant attention de ne pas faire de peine aux autres. » Par contre, la tristesse monte en lui lorsqu’il médite sur la Passion du Christ en faisant son chemin de croix « Il faut être fort dans les épreuves ! Il faut tout endurer pour l'amour de Dieu : il a tant souffert pour nous. », dit-il avec émotion. Mystérieuse fécondité de la souffrance unie à l’amour. Frère André l’avait constaté : « C'est souvent après de graves épreuves que l'Oratoire grandissait le plus. »

Toute sa vie frère André a su se mettre au service des autres, un peu comme Joseph l’artisan, dont il est le messager et l’instrument. S’il aime tant saint Joseph, c’est parce qu’il est un peu comme lui, travailleur manuel, délaissé et simple, effacé et humble. Il conseillait aux gens de le prier ainsi : « Si vous étiez à ma place, saint Joseph, qu’est ce que vous voudriez qu’on vous fasse? Et bien faites-le pour moi.»  

Usé par tant de souffrances, frère André meurt un mercredi, journée consacrée à saint Joseph, le 6 janvier 1937 à l’âge de 91 ans. C’est son épiphanie, l’ultime manifestation du Christ dans sa vie. Un million de personnes défilent devant son cercueil à l’Oratoire. L’onde de choc se répercute jusqu’en France. On lit dans Le Figaro : « Un extraordinaire thaumaturge vient de mourir. Le frère André sera-t-il le premier saint canadien ? » Oui, mais 73 ans plus tard. Le pape Jean-Paul II l’avait béatifié le 23 mai 1982, reconnaissant en lui « un homme de prière et un ami des pauvres ».

OratoireLe tombeau de frère André est situé dans une petite chapelle funéraire non loin de la crypte. Il est placé à la base même de l’Oratoire, comme une pierre angulaire où tout converge. On y lit ces simples mots qui résument sa vie : Pauper, servus, humilis. Grâce à ces vertus, l’Oratoire est devenu un haut-lieu de spiritualité et d’intériorité, de beauté et d’accueil. Pour y être allé prier plusieurs fois et pour y avoir prêché la grande neuvaine à saint Joseph en 2009, il y a en ces lieux un « je ne sais quoi », dirait saint Jean de la Croix, qui élève l’âme et apaise le coeur. Frère André avait déjà dit : « Quand je serai mort, je vais être rendu au ciel. Je vais être bien plus près du bon Dieu que je ne le suis actuellement. J’aurai plus de pouvoir pour vous aider ».

Pour aller plus loin, lire ma petite biographie Frère André. La force tranquille. Pour méditer ses paroles, Frère André, une pensée par jour. Lire également: Les saints, ces fous admirables
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