Lorsque j’étais enfant, le nom de Jean de Dieu évoquait pour moi l’asile de Montréal. Dire que quelqu’un était enfermé à Saint-Jean-de-Dieu signifiait quasiment qu’il était enterré vivant. Je ne savais pas que l’hôpital psychiatrique empruntait son nom à un homme qui fut bouleversé par la souffrance humaine et par l’amour de Dieu.

Jean de Dieu

Une vie orageuse

Joao Ciudad naît au Portugal en 1495 de parents pauvres, mais chrétiens. Vers l’âge de huit ans, il quitte sa famille et est enlevé par un inconnu qui l’emmène en Espagne. Commence alors une vie errante où il sera tour à tour berger, paysan, soldat de Charles Quint — il est blessé en 1523 —, ouvrier agricole en Afrique, marchand ambulant de livres de piété à Gibraltar et libraire à Grenade en 1538.

C’est dans la quarantaine que le Christ l’attend. Jean est bouleversé par le sermon de celui qui deviendra saint Jean d’Avila, que Benoît XVI proclamera docteur de l’Église le 7 octobre 2012. Il se convertit et manifeste un tel repentir public qu’on l’enferme comme fou. Il est ainsi hospitalisé pendant plusieurs mois à l’asile d’aliénés Royal de Grenade. Il est traité cruellement selon les traitements de l’époque. Il découvre un monde de souffrance qu’il ne soupçonnait pas. À sa sortie, sa mission est claire : vouer sa vie aux soins des malades. Il mettra tout en œuvre pour les soigner plus humainement et les accueillir au nom de Jésus, dans le respect et la dignité humaine. Il ne refuse personne : paralytiques, lépreux, vagabonds, prostituées, enfants abandonnés et, surtout, malades mentaux.

Fondateur des Frères hospitaliers

Jean fonde son premier hôpital à Grenade en innovant dans les soins de santé et dans la façon de gérer l’établissement. L’évêque de Tuy lui donne un habit religieux et lui impose le nom de Jean de Dieu. Des disciples se groupent autour de lui, dont Anton Martin; c’est la naissance des Frères hospitaliers. Bien avant Vincent de Paul, Jean donne l’exemple en soignant ceux qu’il appelle « mes seigneurs les pauvres malades ». Il mendie pour eux, les cherche, les nourrit, se sacrifie totalement, servant le Christ en eux. Les six lettres qu’il a laissées témoignent de son « esprit de tendre compassion », mentionné à l’oraison de sa messe du 8 mars. Il écrit dans l’une de ses lettres :

"Si nous considérions la miséricorde de Dieu, jamais nous ne cesserions de faire le bien […] car ainsi que l’eau éteint le feu, la charité efface nos péchés […]. Tant de pauvres viennent ici que je me demande souvent moi-même comment on pourra les secourir; mais Jésus Christ pourvoit à tout et nourrit tout le monde […]. Le Christ est fidèle, il est toujours là, car il prévoit tout. À tout instant, rendons-lui grâce. Amen".

Homme de prière et de pénitence, il a la compassion tatouée au cœur, même s’il est très sévère envers lui-même. Pour procurer des aliments à ses malades, Jean parcourt les rues de Grenade, une marmite à chaque bras, en criant : « Mes frères, pour l’amour de Dieu, faites-vous du bien à vous-mêmes. » Il s’abandonne totalement en la Providence qui jamais ne le décevra.

Fécondité de la sainteté

Jean de Dieu meurt à Grenade le 8 mars 1550 après avoir tout remis dans les mains de Celui qui pour lui ne fut que miséricorde. Il est canonisé en 1690. Léon XIII le déclare patron des malades et des hôpitaux avec saint Camille de Lellis. En 1930, Pie XI étend ce patronage aux infirmières et aux infirmiers. Pour plusieurs, Jean de Dieu est le père de l’hôpital moderne.

Peu de temps après sa mort, les hôpitaux se développent et les communautés des Frères hospitaliers de Saint-Jean-de-Dieu évoluent vers une forme de vie religieuse. Aux trois vœux classiques de pauvreté, chasteté et obéissance s’ajoutera celui de soigner les malades, prolongeant ainsi le désir de compassion du fondateur.

Aujourd’hui, cet ordre hospitalier est présent sur les cinq continents et compte plus de deux cents centres : hôpitaux, léproseries, centres psychiatriques, centres de rééducation, foyers d’hébergement. Telle est la fécondité de la sainteté qui réside en l’accueil du Dieu Amour et en l’union avec lui dans la foi. Cet accueil passe par les autres, car « celui qui n’aime pas son frère, qu’il voit, est incapable d’aimer Dieu, qu’il ne voit pas » (1 Jn 4, 20).

Cette capacité d’accueil de Dieu et des autres est une caractéristique importante de notre nature humaine. La vie de Jean de Dieu, comme celle d’autres saints et de saintes, en témoigne une fois de plus. La sainteté ne consiste pas à atteindre l’équilibre psychique ou la perfection morale, mais à vivre l’accueil de l’amour de Dieu dans une vie concrète. Ainsi, tous sont appelés à la sainteté, malgré les blessures, handicaps, faiblesses, angoisses.

Pour en savoir plus, édition revue et augmentée de mon livre Les saints, ces fous admirables, 2018, p. 85-88.