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Le blogue de Jacques Gauthier

Hommage à mon oncle franciscain (1917-2016)

Il était une fois un petit garçon de 4 ans hospitalisé pour une jaunisse. Sa mère ne pouvait pas lui rendre visite. Son frère, un franciscain qui l’avait baptisé jadis, prenait le relais. Né à Montréal le 11 avril 1917, il avait vécu à Grand-Mère et avait été ordonné prêtre trente ans plus tard. Il le visitait et lui apportait des bonbons. Cet homme joyeux représentait pour lui une image bienveillante de Dieu. Il l’appelait mon oncle René, mais en religion c’était le père Claude Héroux.

Il se souvient de ces Noëls où il partait avec son père pour ramener l’oncle à la maison, le temps d’un repas. Quand il le visitait à Trois-Rivières, il lui demandait d’explorer le musée du bon père Frédéric, situé à la crypte, sous la chapelle Saint-Antoine. Avec le temps, l’enfant connaissait plusieurs franciscains qui venaient à la maison : les pères Paul, Florian, Gentil, Philippe.

L’enfant grandit et demanda au père Frédéric de l’aider à suivre Jésus. Il fut exaucé à 20 ans, après une adolescence assez mouvementée. Il vécut quatre ans à l’abbaye cistercienne d’Oka, puis quelques mois au monastère des franciscains à Trois-Rivières, alors qu’il étudiait en théologie. Son oncle ne lui parlait pas beaucoup de sa vie spirituelle, par pudeur peut-être, mais il le voyait prier souvent à la chapelle, joliment restaurée selon ses conseils. Le tombeau du bienheureux père Frédéric y avait trouvé sa place tout naturellement.

De nature solitaire et de santé fragile, le père Claude cultivait ses amitiés, partageant son goût pour la nature, les livres, le cinéma, la musique classique. Il gardait la forme en marchant et en nageant très tôt le matin. Il avait tout donné au Seigneur, même ses beaux cheveux, qu’il retrouvera plus tard lorsque la tonsure ne sera plus de mise. Aumônier des scouts et professeur de littérature, il captiva des milliers de jeunes par son enthousiasme contagieux.

Quand le Renouveau charismatique déferla au début des années 70, ce fut pour lui un vent d’air frais. Au monastère, les gens venaient se confesser à lui. Il les accueillait, les encourageait, leur parlait avec douceur du pardon du Christ. Sa voix chaude les réconfortait, son sourire les apaisait, parce qu’il avait lui-même côtoyé l’épreuve.

En juillet 1969, le neveu, âgé de 17 ans, revenait d’un voyage sur le pouce à Vancouver. Il avait relaté son périple dans un cahier envoyé à quelques lecteurs. L’oncle y signa ce commentaire : « Avoir le goût de l’aventure c’est déjà quelque chose, mais pouvoir fixer ses expériences dans des mots et vouloir les faire partager aux autres, voilà des qualités non seulement de l’esprit mais du cœur. Ton oncle. Claude Héroux, ofm ».

Cette phrase dévoilait non seulement la personnalité de son neveu, mais aussi l’option fondamentale de l’oncle : révéler à l’autre sa beauté et sa dignité. Cet humanisme chrétien lui venait de l’Évangile, bien sûr, et de la spiritualité franciscaine, si marquée par l’émerveillement, la joie, la reconnaissance. Toute sa vie, il aura été un éducateur passionné, un passeur de sens. Il s’émerveillait de ce qu’il voyait de beau chez les jeunes et il s’efforçait de leur révéler cette richesse souvent enfouie. Il avait bien raison d’écrire ce qu’il vivait lui-même : « voilà des qualités non seulement de l’esprit mais du cœur ».

L’oncle écrivait peu, mais il maîtrisait l’art de la parole, s’exprimant avec humour et intelligence. Quand il était en verve, la poésie sortait des livres et le verbe se faisait chanson. C’était un poète dans l’âme, lisant de tout, surtout les mystiques. Il a vécu ses dernières années à l’infirmerie des franciscains de Montréal. À sa mort, survenue le 10 septembre 2016, il a emporté le recueil de sa vie secrète, resté caché à nos yeux, mais connu de Dieu seul, imprimé à l’encre de sa miséricorde.

Moi et Pere Claude

Son neveu aura eu la grâce de le voir une dernière fois à la fin mai. L’oncle avait souri en le voyant. Les mots ne sortaient plus aisément de sa bouche, mais son sourire disait tout. Quelle sérénité ! Il avait béni le neveu, au nom du Père et du Fils et du Saint Esprit, avant qu’il ne dise le moindre mot. Bénir, vouloir du bien, prier pour l’autre, jusqu’au bout, quand les mots se taisent et que le cœur crie de reconnaissance au « bon Dieu », comme il disait. Il avait gardé toute sa mémoire, se rappelant que le neveu avait déjà prêché une retraite à ses frères dans ce même monastère où il se préparait à entrer « dans la vie », selon l’expression d’une amie commune, sainte Thérèse de Lisieux. 

« Loué sois-tu, mon Seigneur, pour notre sœur la mort corporelle », chantait François d’Assise dans son Cantique des Créatures. C’est par la mort que nous pouvons voir Dieu. Le Christ ne pouvait plus laisser l’âme de son prêtre sur terre. Il l’a ravie dans sa gloire, sept mois avant ses 100 ans, durant l’Année sainte de la miséricorde, décrétée par le pape François. Il est mort comme il a vécu, dans la paix et l’amour de Dieu.

Que dire de plus ? Sinon reprendre ce que le neveu, devenu gendre, avait écrit à la mort de son beau-père : « Il n’est pas parti, il est arrivé ; il n’est pas disparu, il est accueilli ; il ne s’est pas éteint, il s’est allumé au feu du Ressuscité ; il n’a pas perdu le souffle, il l’a retrouvé pour l’éternité » (Récit d’un passage). 

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mercredi 3 juillet 2024

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