En ces temps du divertissement à tout prix, de la dépendance aux écrans, de la consommation à outrance, c’est devenu tout un exploit d’entrer en soi, d’accueillir le silence, et d’écouter son propre vide intérieur qui appelle obscurément un sens, un salut.

Nous sommes passés d’une société de devoir et de l’obligation à une société de l’individualisme et de l’autonomie. Ce n’est pas négatif en soi, mais ce passage peut ouvrir la porte à des idéologies sans intériorité. Aujourd’hui, les gens ne veulent pas qu’on leur dise quoi faire ou penser, même s’ils sont manipulés par de nouveaux fabricants d’opinions comme les réseaux sociaux. Ils n’ont pas envie de dépendre des autres, encore moins d’un Dieu. Créateurs, oui ; créatures, non. L’antique tentation de se constituer en juges suprêmes du bien et du mal est récurrente : « Vous serez comme des dieux. » (Gn 3, 5). Dieu est ainsi perçu comme un tyran jaloux de ses prérogatives et non comme un père miséricordieux qui veut le bonheur et le salut de ses enfants.

Jésus nous révèle l’image d’un Dieu qui n’est qu’amour. Il est venu apporter la vie en abondance pour que nous croyions qu’il est le Fils du Père, afin d’avoir « la vie en son nom » (Jn 20, 31). Croire en Jésus le Christ, c’est accéder à la vie éternelle. Cette foi s’exprime par des œuvres de miséricorde, comme accueillir l’étranger, vêtir celui qui est nu, visiter celui qui est malade ou en prison : « Chaque fois que vous l’avez fait à l’un de ces plus petits de mes frères, c’est à moi que vous l’avez fait » (Mt 25, 40).

Comment s’ouvrir au salut ?

Si la personne n’est pas touchée intérieurement par le Christ, si elle ne rencontre pas des témoins crédibles de son amour, comment peut-elle s’ouvrir au salut ? Car vouloir être sauvé, c’est reconnaître sa finitude et sa vulnérabilité, se donner au Christ et vivre l’Évangile. Dans un monde sans Dieu où nous avons à vivre de Dieu, espérer le salut chrétien ne peut être qu’ouverture au salut de l’autre et à son mystère. 

Chandelle Quebec

C’est donc notre conception de Dieu et du salut qu’il faut revoir ou retrouver. Prenons par exemple le sacrement de la réconciliation qui est souvent délaissé et dénigré par les chrétiens eux-mêmes. Pourtant, « heureuse faute qui nous a valu un tel Rédempteur », chantons-nous à la Vigile pascale. Pas de péchés, pas de pardon, pas de salut.

Bien sûr, c’est Dieu qui sauve, et il est libre d’agir sans passer par les sacrements. Mais comment ce Dieu caché peut-il devenir le Dieu proche dans le quotidien de nos vies si nous ne le fréquentons pas dans la prière ? Comment le reconnaître comme Créateur et Sauveur dans nos engagements et nos espoirs, si la résurrection du Christ est pour nous une réalité du passé qui n’a rien à voir avec le présent? « Car la grâce de Dieu s’est manifestée pour le salut de tous les hommes » (Tt 2, 11).

La grâce ne détruit pas la nature ; elle l’équilibre, l’unifie, la transforme progressivement. Dieu ne se laisse pas décourager par nos faiblesses, nos péchés. Ceux-ci sont la matière avec laquelle s’exerce sa miséricorde, la faille par où entre sa lumière, comme le chantait Leonard Cohen dans Anthem.

Charles Péguy évoque la petite fille espérance qui s’avance entre ses deux grandes sœurs, la foi et la charité. Nous marchons avec elle, cette petite espérance, qui n’a l’air de rien, mais qui nous tire vers Dieu et nous fait traverser les épreuves de la vie. Éternellement jeune, elle recommence toujours et défait l’habitude, car il n’y a rien de plus triste qu’une âme habituée. Le combat spirituel, « aussi brutal que la bataille d’hommes », écrivait Rimbaud, secoue notre torpeur et vérifie la qualité de notre espérance. « On obtient de Dieu autant qu’on en espère », répétait Jean de la Croix. « Et l’espérance ne déçoit pas, puisque l’amour de Dieu a été répandu dans nos cœurs par l’Esprit Saint qui nous a été donné » (Rm 5, 5). N’est-ce pas de ce trésor que nous avons le plus besoin aujourd’hui ? Le pape François nous le redit comme un leitmotiv : « Ne vous laissez pas voler l’espérance » !

Comment? En désirant aimer, en priant chaque jour dans le silence du cœur, en méditant la parole de Dieu, en fréquentant les sacrements, en répétant intérieurement le nom de Jésus, en lisant les saints, en servant le plus démuni, en reliant notre foi aux questions que les gens se posent, en témoignant du Christ à partir de ce que nous sommes, en accompagnant les autres tels qu’ils sont, non en les jugeant, car « l’amour espère tout » (1 Co 13, 7).

Ce texte est la suite du billet précédent de ce blogue, "Avons-nous besoin de salut?" Il est paru dans la revue Prêtre et Pasteur, Montréal, novembre 2017, p. 595-601. 

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