Georges Moustaki, chanteur français d’origine grecque, est mort le 23 mai à l’âge de 79 ans. Éternel rêveur et grand voyageur, il aura chanté la liberté, la solitude, la mer, surtout l’amour, d’une voix douce et tendre. Il aura pris le temps de vivre, revendiqué le droit à la paresse, déclaré l’état de bonheur permanent. Le métèque, qui n’était jamais seul avec sa solitude, a quitté ce jardin qu’on appelait la terre pour d’autres cieux. Il s’en est allé serein, emportant dans sa besace le grand amour qu’il portait à l’humanité : « Et nous ferons de chaque jour toute une éternité d’amour que nous vivrons à en mourir ».

Ses chansons cool au style fluide ont bercé mon adolescence et mis un peu de poésie dans ma quête de sens et de liberté. Enfant, je me souviens d’un matin où Piaf chantait Milord dans ma chambre ensoleillée, premier tube de Moustaki. Le coup de foudre est arrivé avec l’album Le Métèque en 1969, ma période hippie. Je l’écoutais partout, même en jouant au ping-pong, sans savoir que le grand ambassadeur de la chanson française se passionnait pour ce jeu. Il m’a fait voyager bien loin avec Le Facteur, Gaspard, Joseph, sans oublier l’incantatoire Marche de Sacco et Vanzetti. Plus tard, en rencontrant mon épouse, nous rêvions notre vie en chantant Le temps de vivre : « Viens, je suis là, je n’attends que toi, tout est possible, tout est permis »

Cet homme qui a tant aimé les femmes n’aura pas vraiment connu la vie de couple. Père d'une fille, Pia, née en 1956, il considérait ses chansons un peu comme ses enfants, comme des miracles. Dans un entretien publié en 2012 pour La Vie, « Chanter, c’est l’euphorie totale », la chanson était pour lui, « à la fois un mystère et une grâce » : « Une chanson, c’est un mariage d’amour entre paroles et musique, sans que l’on sache qui se déclare en premier. Il n’y a pas de routine, pas de recette ou de loi. Rimées ou non. Longues ou courtes. La création et le ciselage apportent un plaisir intense. Mes préoccupations sont liées au fait d’écrire des textes transparents et lisibles. Quand Reggiani ou Barbara me demandaient une chanson, j’avais l’impression de ne pas savoir faire. Et pourtant j’y arrivais. Je l’ai fait pendant cinquante ans. J’ai l’impression que les chansons sont déjà là et que je ne fais que les capter. Paul Valéry a dit : « C’est Dieu qui nous donne le premier vers. » Je suis d’accord, sauf que je ne sais pas qui est Dieu ». 

Que nous laisse-t-il, ce cher Georges, si ce n’est cette émotion de réentendre certaines de ces chansons qui ont donné tant de bonheur ? Même si Le Facteur est parti, il n’est jamais trop tard quand on aime.

Voir en images sur YouTube quelques-unes de ses chansons, devenues des classiques.

Ce texte fut repris dans Le Devoir du 24 mai 2013.