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Le blogue de Jacques Gauthier

Les anges dans l'histoire et la spiritualité

Au début du 1er siècle, les esséniens de Qumrân vouaient un culte aux anges dans la liturgie. Ce culte sera pratiqué en Orient chrétien au IIe siècle, mais l’Église commencera à réfléchir sur les anges au siècle suivant avec Origène. Au 1Ve siècle, l’angélologie chrétienne, c’est-à-dire l’étude des anges, se développe avec Basile de Césarée, Grégoire de Nazianze et Grégoire de Nysse. Leur réflexion culminera dans la Hiérarchie céleste du Pseudo-Denys, dont Dante s’inspirera pour écrire La Divine Comédie

De leur côté, Augustin et Grégoire le Grand précisent que l’on n’adore pas les anges, on les prie pour mieux imiter leur fidélité à Dieu. Saint Benoît, patriarche des moines d’Occident, rappelle dans sa Règle que nous vivons sous le regard de Dieu et de ses anges : « Je te chante en présence des anges. » (Ps 137, 1) Ainsi, à la psalmodie, nous devons chanter « de façon à ce que l’esprit soit en accord avec la voix ».

Anges Histoire

L’ange médiéval

C’est au XIIe siècle que le culte des anges prend vraiment son envol. L’abbesse bénédictine Hildegarde de Bingen, appelée « la sibylle du Rhin », décrit avec une grande précision ses quarante visions intérieures en trois livres qui demanderont dix années chacun. Elle s’émerveille du monde en mouvement, de la création qui se continue, du dialogue constant entre la Trinité, l’être humain, les anges et le cosmos, qu’elle évoque dans ses dessins par l’image de cercles concentriques.

À cette époque, la vie monastique est comprise comme une imitation de la vie angélique et une anticipation de la vie céleste. Le cistercien Bernard de Clairvaux approfondit dans ses écrits le ministère de ces êtres célestes, surtout à l’occasion de leurs fêtes liturgiques. Il invite à les respecter pour leur présence, à les aimer avec confiance pour leur protection. Ce grand réformateur de l’ordre cistercien est considéré comme l’apôtre éminent de l’ange gardien dans l’Église latine. 

Soyons donc pleins de respect et de reconnaissance pour une telle vigilance de leur part ; aimons-les en retour et honorons-les autant que nous le pouvons, autant que nous le devons. Mais c'est à Dieu qu'il nous faut rapporter la totalité de notre amour et de notre honneur, à Dieu de qui les anges, aussi bien que nous, reçoivent toute la capacité de l'honorer et de l'aimer, non moins que la possibilité de se rendre dignes de son amour et de son honneur. Aussi est-ce en Dieu, mes frères, qu'avec affection il nous faut aimer ses anges, dans la conscience qu'ils seront un jour nos cohéritiers, et que d'ici là le Père dispose et ordonne qu'ils soient pour nous des intendants et des éducateurs. (Homélie sur le psaume 90)  

Thomas d’Aquin et les scolastiques entreprendront une systématisation définitive de l’angélologie, sans trop s’occuper de la dévotion aux anges. Ce que feront les héritiers de saint Bernard comme les cisterciennes Mechtilde et Gertrude. 

L’affection des anges

Au début du XIVe siècle, le rapport aux anges se transforme, la représentation que l’en en fait évolue. Dans son traité Des dix aveuglements, le dominicain Jean Tauler consacre le cinquième aveuglement de l’esprit à l’ignorance concernant la dignité des anges, le service qu’ils nous rendent et l’affection dont ils nous entourent, en tout lieu et en tout temps. 

 L’affection des anges envers les hommes, celle de votre propre ange envers vous, est si grande, si vive qu’elle dépasse, plus qu’on ne saurait dire, toute affection humaine. Non, jamais mère aussi tendre et compatissante que vous la supposiez, n’a porté à son fils unique un amour comparable à celui que votre propre ange a pour vous. Ces esprits célestes et bienheureux savent en effet de quel amour immense, admirable et très ardent le Seigneur entoure tous les hommes et vous-même, aussi veulent-ils, à leur tour, vous aimer comme vous ne pourrez jamais le comprendre ou l’exprimer.

Les fidèles expriment de plus en plus leur foi aux anges et archanges en recourant à des exercices de piété : ils les choisissent comme patrons des villes et protecteurs des corporations, ils érigent des sanctuaires, composent des hymnes et des prières. Les anges ornent les portails et les chapiteaux des églises, ainsi que les manuscrits enluminés. Ils jouent de la musique, sonnent de la trompette pour le jugement final, portent les instruments de la Passion, adorent le Christ en gloire, séparent les élus des damnés, mais ils sourient aussi, comme l’ange de la cathédrale de Reims. Par eux, le royaume de Dieu paraît plus concret et plus proche.

Au XVe siècle, la piété s’individualise, favorisant la dévotion à l’ange gardien et à « l’ange psychopompe ». Ce terme un peu ronflant désigne l’ange qui assiste le mourant, le protège contre les esprits mauvais, recueille son dernier soupir, emporte l’âme du défunt au ciel ou au purgatoire. François d’Estaing, évêque de Rodez, fait par exemple rédiger un Office pour les anges gardiens. Jean Gerson (1363-1429), chancelier de l’université de Paris, propage leur culte. L’ange gardien est alors considéré comme un ami fidèle, un frère invisible, un confident bienveillant. Françoise Romaine affirme qu’une grâce mystique lui permet de le voir à ses côtés, ainsi que les anges gardiens de ses enfants décédés. Elle est canonisée par le pape Paul V en 1608, l’année même où il inscrit au calendrier liturgique une fête pour les saints anges gardiens. 

Ignace de Loyola et les Jésuites diffusent la dévotion de ces bons anges qui répandent la joie spirituelle dans l’âme. Le jeune jésuite Louis de Gonzague, qui avait une grande vénération pour les anges gardiens, recommandait partout leur culte. Lorsqu’il meurt de la peste le 21 juin 1591, à l’âge de vingt-trois ans, on a dit que sa chambre était bondée d’anges.   

Jean de la Croix et François de Sales s’expriment aussi sur les anges. Je les cite au huitième chapitre de mon livre En présence des anges. Découvrir le monde invisible. Les traités de théologie mystique font également une plus grande place aux anges, ainsi que des saintes comme Catherine de Sienne, Thérèse d’Avila, Marie-Madeleine de Pazzi, Marguerite-Marie Alacoque.

À partir du XVIIe siècle, appelé le siècle des Lumières, la figure de l’ange biblique se vide de son sens spirituel au profit d’une corporéité sensuelle du vieux paganisme gréco-romain et de la réalité infantile des têtes d’angelots joufflus, que l’on nomme chérubins ou putti dans l’art baroque. L’ange devient romantique et imaginaire, réduit à un simple idéal de beauté et d’amour, que l’on retrouve parfois dans les vieux cimetières européens. 

Une dévotion profonde

Les dévotions varient selon les sensibilités et les époques. Elles expriment des sentiments qui se manifestent par l’attachement tendre et respectueux de la personne envers des figures appartenant au monde céleste : le Christ, Marie, les anges, les saints. Il en résulte des pratiques religieuses, comme le chemin de croix, le chapelet, les prières aux anges, qui ne sont pas sans rapport avec la liturgie de l’Église. Les dévotions sont au service de la vie spirituelle et témoignent de la vitalité du peuple de Dieu qui prend sa source dans les actions liturgiques elles-mêmes.

La dévotion envers l’ange gardien engendre au XIXe siècle un engouement chez les catholiques : on les prie, célèbre des messes en leur honneur, fait des neuvaines, publie des livres de prières et des images pieuses. L’Histoire d’une âme de Thérèse de Lisieux illustre cette dévotion, ainsi que l’Autobiographie de la bienheureuse Dina Bélanger. Une revue bimensuelle « L’Ange Gardien » voit le jour en 1891. Dirigée par les Clercs de Saint-Viateur, elle est publiée encore aujourd’hui par la Confrérie des saints Anges gardiens.

La montée de l’âge industriel et du rationalisme renvoie l’ange à la nostalgie d’un monde perdu. Pourtant, les papes du XXe siècle recommandent toujours leur dévotion, tel ce discours de Pie XI, prononcé le 2 septembre 1934 à des enfants : « L’ange gardien n’est pas seulement présent, mais sa compagnie déborde de tendresse et d’amour; ce qui requiert encore de notre part à son égard un amour fait de tendresse, c’est-à-dire la dévotion ».

Au concile œcuménique Vatican II, les anges ne sont pas à l’ordre du jour. Les théologiens ne s’intéressent guère à eux, sauf Balthasar, Daniélou, Rahner. En général, les prêtres les ignorent dans leurs sermons. 

Pourtant, de nombreux saints et mystiques contemporains ont témoigné de l’intervention de leur ange gardien dans leur vie quotidienne, comme Gemma Galgagni, Thérèse Neumann, Padre Pio ou encore Georgette Faniel, qui voyait son ange gardien et le respectait beaucoup. Elle en parle simplement au journaliste Pierre Jovanovic venu l’interviewer à Montréal :

Il a une tunique blanche. Mais on ne peut pas le comparer à la beauté humaine. Il est au-delà de cela, dans les traits, le visage, dans tout. Je n'ai jamais vu d'homme aussi beau. Je vois aussi les Anges pendant l'Eucharistie. Ils sont en état d'adoration, prosternés devant la présence réelle de Dieu devant l'autel. Je ne vois pas pourquoi des gens et même des prêtres ne croient pas à l'Ange gardien qui nous accompagne toujours […] Je le prie tous les jours ainsi que les Anges de ceux qui vivent dans la souffrance morale, physique et spirituelle. (Enquête sur l’existence des anges gardiens)  

Le retour des anges

Délaissé par les églises, la figure de l’ange revêt les habits du New Age et des mouvements ésotériques. À l’ère du Verseau et de la génération Peace and love, plusieurs sentent le besoin de vivre la spiritualité autrement, sans lien avec le clergé traditionnel. Ils se bricolent des croyances à la carte. Déçus par la science et la politique, ils s’intéressent aux expériences surnaturelles et aux phénomènes paranormaux. 

Dans cette mouvance, des documentaires et des livres racontent l’histoire de personnes de tous âges qui ont été protégées et sauvées par leurs anges gardiens. On relève également des expériences de mort imminente où, à la suite d’un traumatisme, l’esprit survole le corps blessé, traverse un tunnel, voit une lumière au bout, rencontre un ou des anges qui les changent pour le reste de leur vie.  

Des films hollywoodiens s’approprient aussi l’image de l’ange pour en faire des fantômes ou des superhéros venus sauver la planète. Une exception : l’œuvre de Wim Wenders, Les Ailes du désir(1987), où il montre que les anges, pleins d’amour pour l’humanité, sont parmi nous, sans être de ce monde. À l’opposé, des films d’horreur, comme L’exorciste (1973)remettent au goût du jour la figure du diable et des démons, qui eux aussi avaient été un peu oubliés.

Face à ce nouvel attrait pour les esprits célestes, on comprend que des chrétiens ne sachent plus à quel ange se vouer. Ce questionnement stimule de nombreux catholiques, qui cherchent à redécouvrir la grande tradition de l’Église sur ce thème longtemps délaissé. 

Pour aller plus loin: En présence des anges.
Lire les précédents articles du blogue. 

Vidéo de 19 minutes dans ma chaîne YouTube, ajoutée le 17 juillet 2020.

Rencontre avec Thérèse de Lisieux
Archanges et anges gardiens dans la liturgie

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mercredi 3 juillet 2024

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