Le blogue de Jacques Gauthier
École de prière (77) L'oraison, apprendre à mourir
« Le sentiment universel de piété a donné la prière, et celle-ci produit de la religion », écrivait le poète Novalis. Littéralement, prier est un acte de religion par lequel on s’adresse à Dieu. Ainsi, quand un événement se fait menaçant ou que la mort frappe à la porte, la personne a souvent le réflexe d’implorer un être supérieur qui peut la secourir.
Mais prier, c’est aussi se mettre en présence de Dieu en se recueillant, en méditant sa parole, en le rencontrant tout au long de la journée par des actes intérieurs de foi, d’espérance et d’amour. Prier ainsi dans le silence nous apprend à mourir. Car ce n’est pas une mince affaire que de durer dans la prière, d’être attentif au mystère de Dieu, de lui offrir notre patience devant son silence, de nous abandonner à sa miséricorde en nous laissant transformer par son Esprit d’amour.
Mourir à soi-même
La prière intérieure est plus qu’un appel au secours ou un refuge en cas de détresse, c’est le lieu du rendez-vous avec soi-même et avec Dieu.
Au début de la vie de prière, notre sensibilité et notre intelligence sont comblées par les consolations divines et par les idées que nous avons sur Dieu. Puis, il nous conduit patiemment au désert pour nous révéler qu’il est au-delà de tout ce qui est sensible et intelligible. Il nous invite à la prière profonde de l’oraison, qui est un sevrage de notre sensibilité, nous donnant à le connaître comme il veut être connu.
En pratiquant l’oraison silencieuse, nous naissons en Dieu, nous laissons advenir à la conscience une prière inconsciente qui se trouve déjà au fond de notre être. Cette attention au mystère de Dieu implique une certaine mort à nous-mêmes, puisque nous lui confions humblement les rênes de notre vie. Ce n’est jamais agréable de subir cette mort, de perdre le contrôle de la prière. Ne nous étonnons pas qu’il y ait si peu de chrétiens qui s’adonnent à cette prière profonde du cœur. Nous renonçons à notre ancienne manière de vivre et de prier pour accéder à la vie nouvelle de l’Esprit, où nous contemplons l’amour gratuit de Dieu.
« Prier, c’est percevoir notre réalité la plus profonde, ce point précis de notre être où, inconsciemment, insensiblement, sans jamais l’avoir vu, nous aboutissons à Dieu, nous nous écoulons en Dieu, nous touchons Dieu ; ou plutôt : où, à chaque instant, tandis qu’il ne cesse de nous créer, nous sommes touchés par lui. » (André Louf, Au gré de sa grâce, Artège, p. 204-205)
Dans cette rencontre d’amour, nous avons à nous tenir en présence de Dieu, sans fuir la sécheresse et le vide des nuits de la foi, à attendre jour après jour « les visites du Verbe », comme disait saint Bernard. L’important est de vouloir être là, de demeurer assis devant Dieu, même si nous ne ressentons rien, même si les distractions et l’ennui nous assaillent, même si nous avons le sentiment de perdre notre temps, de ne plus savoir comment prier. « Ce sentiment d’inutilité, de contre-performance, de pesanteur stérile, atteste que l’on est là, non pour autre chose, mais pour être là, gratuitement, par amour » (Fabrice Hadjadj, Réussir sa mort).
C’est dans cette radicale impuissance, cette pauvreté en esprit, cette impasse d’une mort spirituelle, que la vraie prière commence, celle que l’on ne se donne pas, celle que l’on accueille comme un don de l’Esprit, le maître intérieur de la prière. « L’Esprit Saint vient au secours de notre faiblesse, car nous ne savons pas prier comme il faut. L’Esprit lui-même intercède pour nous par des gémissements inexprimables » (Rm 8, 26).
Prolonger la prière de Jésus
Jésus se retirait souvent dans les endroits déserts pour prier, se rassasiant de la présence du Père et de l’Esprit, puisant à cette « source jaillissant en vie éternelle » (Jn 4, 14). Parfois, il allait dans la montagne, « et il passa toute la nuit à prier Dieu » (Lc 6, 12).
Le Christ meurt sur la croix en priant son Père, lui criant sa douleur et son amour : « Alors, Jésus poussa un grand cri : « Père, entre tes mains je remets mon esprit. » Et après avoir dit cela, il expira » (Lc 23, 46). Il rend son dernier soupir, et aussi l’esprit à ses disciples : « Puis, inclinant la tête, il remit l’esprit » (Jn 19, 30). Ce cri de confiance de Jésus, qui est sa dernière prière, féconde toutes nos prières.
Quand nous prions, nous rejoignons et prolongeons la prière de Jésus ; nous participons à sa mort et à sa résurrection. En priant par lui, avec lui et en lui, nous sommes dans notre élément, comme un poisson dans l’eau, un sarment à la vigne. « Moi, je suis la vigne, et vous, les sarments. Celui qui demeure en moi et en qui je demeure, celui-là porte beaucoup de fruit, car, en dehors de moi, vous ne pouvez rien faire » (Jn 15, 5). Prier, c’est nous relier au Christ qui nous rend toujours plus vivants. Et quand le soir tombe sur le corps épuisé par la fatigue, nous pouvons redire la prière des pèlerins : « Reste avec nous ». L’inconnu d’Emmaüs partage alors sa paix, présence invisible dans le calme de la nuit où tout peut renaître.
Prier en silence nous prépare à mourir dans la confiance au Christ. Nous livrer à l’oraison avec tout notre être nous aide à remettre notre esprit entre les mains du Père, comme Jésus à la croix.
Prier pour être là, gratuitement et simplement, en sa présence, à l’heure de la mort, et lui rendre le souffle en disant avec reconnaissance : « Merci, Père, de m’avoir créé pour l’éternité. » Croire qu’à la minute où je lui rendrai le dernier souffle, je tomberai en lui comme on « tombe en amour », et mon dernier son sera le nom de Jésus, fruit mûr de ma prière.
« Le chrétien qui progresse dans la vie d'oraison sait qu'il lui suffit de mettre la main sur son cœur pour entendre battre le cœur du Dieu d'infinie majesté. Le chrétien qui progresse dans la vie d'oraison est certain que, l'heure venue, sa mort sera comme une prière plus fervente, une extase qui, s’arrachant à la nuit de la terre, l'introduira au Royaume de lumière. » (Henri Caffarel, La prière, rencontre avec Dieu, p. 78).
Cet article est paru dans la revue Le Verbe, Québec, Printemps 2019, p. 46-47.
Pour aller plus loin: Henri Caffarel, maîre d'oraison (Cerf); La prière chrétienne, guide pratique (Presses de la Renaissance).
À propos de l'auteur
Marié et père de famille, poète et essayiste, son oeuvre comprend plus de 80 livres, parus au Québec et en Europe, et traduits en plusieurs langues. Il a enseigné vingt ans à l'Université Saint-Paul d'Ottawa. Il donne des conférences et retraites que l'on retrouve dans sa chaîne YouTube. Pour en savoir plus: Voir sa biographie.
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