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Le blogue de Jacques Gauthier

Jean-Pierre Ferland, une quête d'amour

Samedi après-midi, 27 avril. On nous annonce des orages. Je pense sans raison à Jean-Pierre Ferland. Je me demande où il est, comment va-t-il? Quelques heures plus tard, j’apprends avec émotion qu’il est décédé de causes naturelles dans un CHSLD de Lanaudière à l'âge de 89 ans. Je n’en reviens pas de cette prémonition; j'en parle à mon épouse. On fredonne Le soleil emmène au solei: « Partir quelque part pour partir », sans oublier la fin, « Oh! comme c'est beau / Vu d'en haut ». Je me rappelle aussi l'envoûtante Je ne veux pas dormir ce soir.

Jean Pierre Ferland

Je n’ai jamais rencontré l’auteur-compositeur qui s’est souvent défini comme un simple « faiseux de chansons ». Il ne se disait pas poète, car il se faisait une très haute idée de la poésie, et pourtant il l’était profondément. Il a gardé son cœur d’enfant et sa capacité de rêver, de s’émerveiller, de se renouveler. Il habitait les mots comme son chez-soi, jouant joliment avec eux, jusqu’à trouver des images inoubliables qui nous transportaient au cœur même de l’émotion. Le poète est mort, mais ses chansons courent encore dans les rues, comme le dit un autre fou chantant.

Un amour de musique

Y a pas deux chansons pareilles, disait Jean-Pierre. Les plus belles, qui sont souvent les plus simples, ne meurent pas, puisqu’elles savent nous consoler quand ça va mal. Elles traversent le temps, nous prennent par la main pour nous conduire « un peu plus haut, un peu plus loin ». Mais qu’est-ce qu’une belle chanson ? N’est-ce pas lorsque les mots et la musique s’épousent tout naturellement ? La chanson favorite de Ferland est La musique, de son excellent album ÉCOUTE PAS ÇA (1995). Il dévoile dans cette chanson toute sa fragilité, qu’il exprime comme une douce prière : 

La musique... mon amour de musique
Est-ce que tu m’aimes encore ? […]
As-tu toujours une fleur d’amour
Un fond d’émotion, une graine de douceur
Pour ton compositeur ?

L’amour, voilà ce qu’a cherché ardemment notre compositeur charmeur, au caractère inquiet. L’amour des femmes, de la chanson, de la nature, des animaux, du public, de la langue française. Il était au fond un contemplatif. « L’homme, ce puits d’inquiétude », écrivait Charles Péguy. Tel était Jean-Pierre avec ses contradictions et ses insécurités, ses doutes et ses impatiences. Gardons-nous de juger ! Retenons ce qui nous le rend si attachant : généreux, bienveillant, tendre, simple, drôle, sensible. 

« Quand on aime on a toujours vingt ans », chante-t-il dans son album phare JAUNE (1970), qui marqua mon adolescence et la musique francophone. Je me souviens encore du choc ressenti en écoutant très tard avec des amis ce disque audacieux et novateur. Je vibrais surtout aux albums des Pink Floyd, Moody Blues, Led Zeppelin. Il y avait dans cette musique une soif d’absolu qui rejoignait ma quête de spiritualité. Je retrouvais un peu le même univers de liberté avec JAUNE, mais c’était chanté en français. J'étais fier que ça vienne du Québec. Je comprenais les paroles, soulevées par un son moderne, une musique inventive. Cet album, magnifiquement enregistré au studio d’André Perry, et celui du monde parallèle de SOLEIL (1971), illuminèrent ma nuit d’étoiles, jusqu’à ma rencontre du Christ le 2 juin 1972 et mon retour à la foi catholique. Mais ça, c’est une autre histoire.

Un amour infini

On oublie souvent que les grands chanteurs d’ici comme Félix Leclerc, Gilles Vigneault, Claude Léveillé, Claude Gauthier, Jean Lapointe, Claude Dubois, Robert Charlebois, Ginette Reno, Céline Dion, et bien d’autres, ont été élevés dans la religion catholique de l’époque, avec ses failles, et aussi ses beautés. Ils ne seraient pas devenus ce qu’ils ont été sans cette transmission d’une foi qui a façonné leur enfance, marqué leur imaginaire et notre culture. On en retrouve des traces dans leurs chansons. Je retiens de Ferland son retentissant God is an American sur l’album JAUNE et l’émouvant Mon ami J.C. sur SOLEIL

Dans un beau livre intimiste que lui consacre Sophie Durocher en 2005, Hey boule de gomme, s’rais-tu dev’nu un homme ? (titre extrait de sa plus belle chanson, selon moi, Le petit roi), elle cite Ferland qui déclare en 1974 au Journal de Montréal : « La religion a marqué ma vie et, surtout, elle a rendu plus frémissant l’amour que je peux exprimer. Autrement dit, si je suis ce que je suis, c’est à cause de la religion et de ses tabous. »

Sophie Durocher lui demande sans détour : « Es-tu croyant ? ». Il répond avec un vaste sourire : « Ce serait dommage qu’Il n’existe pas. » 

À la fin du livre, elle lui soumet le questionnaire de Proust. On apprend que sa vertu préférée est l’espérance et que son rêve de bonheur est la mort. À la question, comment j’aimerais mourir ? Il répond : tranquillement. Je pense bien qu’il a été exaucé, et au printemps en plus. 

Notre cher auteur-compositeur-interprète, qui a touché l'âme de tant de générations, aura droit à des funérailles nationales le 1er juin, avec l'accord de sa famille, à la Basilique Cathédrale Marie-Reine-du-Monde de Montréal. Il n'a pas fini de nous réchauffer le cœur.

Fais du feu dans la cheminée,

Le petit roi a rejoint son ami J.C. Repose en paix, Jean-Pierre. Ma prière t’accompagne. Notre amour aussi.  

Pour aller un peu plus loin, et peut-être un peu plus haut, mon autobiographie En sa présence (Artège/Novalis, 2022).

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mercredi 3 juillet 2024

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