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Le blogue de Jacques Gauthier

L'épouse manquante de Fernand Ouellette

Il y a trente ans, Fernand Ouellette publia Les heures. Ce recueil émouvant sur la mort du père, écrit dans l’urgence des dépouillements de l’âme, lui valut le Prix du Gouverneur général. Je retrouve la même grâce de «l’ailleurs transfiguré» dans le beau recueil dédié à l’épouse manquante, au titre intemporel : Où tu n’es plus, je ne suis nulle part.

F.Ouellette

Le fils fait place à l’époux pour habiter le «dernier espace» de «la partante» qui lui manque. Il défie «l’abrupt», l’insondable de la mort, en une centaine de poèmes, «donnés» de 2015 à 2016. «Le poème doit se former / En déchiffrant le mystère, / Seule possibilité d’entendre / Ta musique de l’âme, / Encore si peu perceptible». Il évoque avec pudeur et profondeur soixante ans d’union conjugale, apprivoisant «le labeur du deuil» de sa «chère Lisette», compagne de soixante ans de publication, «Là où règne chaque mot du Verbe». Le ton est intimiste, «J’avais en moi ton amour» ; l’image dépouillée, «Le divin t’a prise dans son refuge» ; le vers solaire, «Elle qui m’a tant donné la terre, / Comment ne me donnerait-elle pas / Le lieu innommable de la lumière / Qu’elle habite dans sa démesure, / Le lieu qu’en complicité / Avec Dieu elle me prépare en s’émerveillant».

Le poète de L’inoubliable nous partage un recueil mystique, inspiré, qui allège «le poids des jours». La mort le façonne en altitude «pour achever en moi / Pleinement son acte». Rien de triste dans sa façon d’«éterniser» l’instant. Le poète suit un chemin de confiance qui n’est pas sans rappeler ses trajets avec Thérèse de Lisieux. «Je fais d’abord confiance à ma mort / Qui me donne l’assurance / De pouvoir à jamais durer avec toi, / Intensément réelle de plénitude».

Ce livre hautement spirituel, où l’absence devient une forme supérieure de présence, est un acte de foi en l’amour durable, un chant d’espérance en la vie «comblée d’indicible». «Le moindre signe reçu / Discerne la présence et l’absence de l’unique».

Altitude

Tandis que nous subissons le joug
De l’absence, et le poids des jours
Enserrant un cœur mal sonnant,
Battant à vide,
Toi-même tu vas vers les anges
Et psalmodies avec eux leur lumière.
 
Ici, je suis loin des papillons,
Du ruisseau printanier coulant
Dans mes membres.
Je tends vers le silence
De ceux qui savent donner de l’altitude
Au langage en s’approchant des astres.
 
La mort me façonne pour achever en moi
Pleinement son acte. Il faut tant de maturité
Pour franchir calmement le crépuscule,
Partir avec un arc-en-ciel autour de l’âme,
Et s’éveiller redressé
Dans l’ailleurs transfiguré. (p. 61)

 

Apaisement 

Ton esprit continue de chercher tous nos signes
Dans l’espace appartenant au divin
Qui te conduit par le cœur.
Ton accomplissement n’a de fin,
Fort agissant dans ton être,
Et ne tremble plus près de la mort
Puisque la lumière lui a donné sa forme.
Un à un les mystères transparaissent.
Tout s’apaise, sans ombre. (p. 104)

 

Résurrection 

Toi déjà en élan
Vers ta résurrection prochaine…
J’ai tant vouloir de te retrouver dans ton corps,
Immortel, certes, mais avec une apparence,
Des indices de son temps terrestre.
Sans lui, tu ne serais pas totalement
L’unique, la femme des jours
Que nous avons vécus, si liés,
L’un gravitant sans cesse vers l’autre.
Jusqu’à cet instant d’éblouissement,
Nous aurons des éclairs de mémoire
Transfigurants, une attention constante.
Comme tu seras lumière
Dans tout ton être consommé,
À l’infini des moments plus périlleux
De notre amour ! (p. 119)

 

Ce texte est paru dans le Bulletin 2017 des éditions du Noroît, p. 20.
Lire également la recension que fait Jean-François Crépeau de mon recueil Un souffle de fin silence, p. 19.
Pour lire le Bulletin 2017 au complet:
http://fr.calameo.com/read/0028786722359aea4d862

 

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lundi 7 octobre 2024

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