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Le blogue de Jacques Gauthier

Ma rencontre avec le cardinal Ouellet

Le cardinal Marc Ouellet ne laisse personne indifférent, c'est le moins qu'on puisse dire, mais il ne mérite pas les insultes que j’entends parfois au Québec. « Nul n’est prophète en son pays », avait déclaré Jésus dans la synagogue de Nazareth. Et nul n’est tout noir ou tout blanc non plus. Je n’ai pas l’intention ici de me porter à la défense du cardinal Ouellet, encore moins me prononcer sur ses chances d’être élu pape, alors que le conclave s’ouvrira le 12 mars. Je veux simplement vous partager ma première rencontre avec cet homme de convictions et de foi, très chaleureux en privé. 

Un désir un peu fou

Après la parution de mon livre J’ai soif. De la petite Thérèse à Mère Teresa, on m’avait suggéré de le remettre au pape Jean-Paul II pendant que je serais à Rome pour un pèlerinage sur les pas de Thérèse de Lisieux. De plus, mon épouse et moi fêtions notre 25e anniversaire de mariage, et Jean-Paul II le 25e de son pontificat. L’occasion était belle. Mais comment faire?

Lors d’une retraite que je donnais à l’église Ste-Thérèse de Beauport le 27 septembre 2003, je rencontrai un des vicaires épiscopaux du diocèse de Québec. Il me dit que Mgr Ouellet était proche de Jean-Paul II. Je lui ai écrit un mot ce soir-là pour savoir s’il ne pouvait pas m’introduire, avec mon épouse, auprès du pape afin de lui remettre mon livre. Le lendemain Mgr Ouellet était nommé cardinal. Deux semaines plus tard, sa secrétaire me téléphonait pour me dire que le futur cardinal nous présenterait au pape.

Nous nous sommes rencontrés à Rome le 20 octobre, au souper donné en son honneur par le gouvernement du Canada. Ce fut un contact très cordial et simple, comme si nous nous connaissions depuis longtemps. Mgr Ouellet nous est apparu tout de suite comme un frère et un ami. Cependant, il nous avoua qu’il était presque impossible d’avoir une audience du pape, compte tenu de sa santé défaillante. On demanda à sainte Thérèse de s'en occuper.

Le mardi 21 octobre, je participai à la cérémonie d’investiture des trente nouveaux cardinaux sur la place Saint-Pierre. Le protocole de cette cérémonie contrastait avec l’émouvante béatification de Mère Teresa le dimanche 19. Le cardinal Ouellet dira lui-même que le sommet de cette semaine avait été la béatification de Mère Teresa.

Dans l’après-midi qui suivit le consistoire, nous sommes allés féliciter le nouveau cardinal à la salle Paul VI du Vatican. Nous y avons rencontré plusieurs Canadiens, et des amis un peu oubliés. Ce n’est que le lendemain soir que nous avons su que le pape accorderait une audience aux nouveaux cardinaux avec quatre de leurs invités. Serions-nous du groupe?

L’audience de Jean-Paul II

Le jeudi matin, nous étions à l’atrium de la salle Paul VI, attendant avec fébrilité le cardinal Ouellet. Il arriva souriant avec quatre invitations qu’il distribua à son frère, sa sœur, mon épouse et moi-même. Il aurait pu prendre des gens de son diocèse, des amis prêtres, comme l’ont fait d’autres cardinaux. Il avait choisi quatre laïcs, en cohérence avec le concile Vatican II qui insista sur l'importance du laïcat dans l'Église. Ce fut pour moi tout un signe .

L’émotion nous gagna tous lorsque Jean-Paul II fit son entrée sur un fauteuil roulant. Les cardinaux défilèrent devant lui avec leurs invités. Lorsque notre tour arriva, le cardinal Ouellet nous présenta au pape et il lui remit mon livre, J’ai soif. Il contempla longuement la page couverture qui représente Thérèse de Lisieux, qu’il avait nommée docteur de l’Église en 1997, et mère Teresa qu’il venait de béatifier. Nous n’oublierons jamais ce moment de bonheur où nous avons pu parler à ce grand pape, aujourd’hui bienheureux.

Après l’audience, le cardinal nous demanda si nous voulions célébrer l’Eucharistie avec lui. Nous étions seulement les trois à la chapelle du collège pontifical canadien. Il prit le temps de nous faire une homélie d’une quinzaine de minutes sur les liens entre son anneau de cardinal et notre anneau de mariage. Je n’en revenais pas qu’il prenne tout ce temps avec nous alors que des journalistes l’attendaient pour l’interviewer.

Après la messe, le cardinal nous invita à son bureau pour nous remettre une enveloppe provenant de l’Osservatore Romano et contenant les photos de l’audience. Nous n’avions pas rêvé. Les photos étaient magnifiques. Cette attention du cardinal nous toucha profondément. On sentait qu’il prenait sa joie à nous faire plaisir, loin de toute caméra. J’ai vu à ce moment-là la grandeur d’âme de cet homme sensible, d’une grande humilité et tendresse.

En 2005, à ma demande, le cardinal Ouellet rédigea la préface de mon livre Les Saints, ces fous admirables. Plus tard, il m'écrivit aussi un texte sur l’importance de la prière dans sa vie pour la revue Prière, dont j'étais le rédacteur. Il livrait avec des mots très simples le secret de sa prière, à l’école des saints, source féconde de son amour de Jésus et de l’Église. Voici quelques extraits qui expriment sa vie intérieure :

 « Pendant ma formation sacerdotale au Grand Séminaire, je découvris la prière de Jésus, un trésor de la tradition orientale qui m’accompagne toujours : Seigneur Jésus Christ, Fils de Dieu Sauveur, prends pitié de moi pécheur. Cette prière, répétée au rythme de la respiration, me fait communier à l’essentiel de l’évangile [.] Ma prière quotidienne vit de l’invocation du Saint-Esprit, car je reconnais avec saint Paul que nous ne savons pas prier comme il faut. L’Esprit Saint me donne de prier et d’aimer comme Jésus et en Jésus. C’est lui le Chemin de la prière [.] En contemplant le cœur transpercé de Jésus, nous voyons qu’il a tout donné, jusqu’à la dernière goutte de son sang et jusqu’au dernier souffle de sa vie. Ce souffle d’amour s’écoule désormais en nous par l’Eucharistie, sacrement de son corps livré et de son sang versé, pour nous. Son cœur eucharistique est devenu notre source de vie, de paix et d’amour. J’y trouve le cœur de ma prière, le sens de ma vie et l’essentiel de mon ministère [.] »

Le cardinal Ouellet terminait l’article en se recommandant à nos prières : « Prier est mon bonheur et ma joie, mais il me faut lutter pour en sauvegarder le temps, l’esprit et la gratuité. Comme le Saint-Père Benoît XVI, je compte sur la prière du peuple de Dieu et de la communion des saints pour l’accomplissement de mon ministère et pour la fidélité de mon espérance.  Merci de m’inclure en la vôtre pour la plus grande gloire de Dieu ». (« Prier en Jésus », dans Prière no 23, La prière et le nom de Jésus, 2006, p. 21-23).

Suite à cette invitation du cardinal Ouellet, il y a déjà sept ans, je m’unis maintenant à la prière des cardinaux qui seront réunis en conclave le 12 mars. Il n’y a rien de magique là-dedans, c’est une question de foi, donc de confiance. La prière n’est pas passivité et romantisme, elle est engagement et discernement. Je crois que l’Esprit Saint, souffle de Dieu, agit dans le cœur de tous les baptisés. Il saura rapprocher les cardinaux entre eux, les inspirer, pour qu’ils choisissent le pape dont l’Église de notre temps a besoin.  

Ce texte a été repris en partie dans La Presse, Montréal, 11 mars 2013.

Pour mieux connaître la vie et la pensée du cardinal Marc Ouellet, je vous suggère ce livre d’entretiens avec le journaliste Pierre Maisonneuve, paru en 2006 chez Novalis: Le journaliste et le cardinal.

Voir aussi l’entrevue exclusive de Céline Galipeau (télévision de Radio Canada) avec le cardinal Ouellet quelques jours avant le conclave : Pas de « changements révolutionnaires » en vue, selon le cardinal Ouellet.

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lundi 7 octobre 2024

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