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Le blogue de Jacques Gauthier

Mon expérience de vie monastique

Je suis né de parents catholiques à Grand-Mère et j’ai été baptisé le 8 décembre 1951. Très jeune, j’ai ressenti un grand amour pour Jésus et la Vierge Marie. Cet amour a grandi avec moi, mais à l’adolescence j’ai abandonné la pratique religieuse. Séduit par le mouvement hippie, je suis parti « sur le pouce » le 2 juin 1972 pour me rendre en Californie. Ce soir-là, trois « Je vous salue » ont bouleversé ma vie dans une communauté de jeunes à Drummondville. J’ai retrouvé le Dieu de mon enfance et expérimenté sa miséricorde à en pleurer toute la nuit. J’ai basculé dans la joie du Ressuscité, je ne m’en suis jamais remis.

J’ai vécu six mois dans cette communauté de jeunes. Je me souviens d’un court séjour passé à l’abbaye de Saint-Benoît-du-Lac. En mars 1973, je suis parti à l’Arche de Trosly-Breuil en France, où j’ai vécu six mois avec des personnes handicapées. J’ai découvert le service des plus petits, l’oraison intérieure, l’adoration eucharistique, les écrits de saint Jean de la Croix. J’ai ressenti un tel appel à la vie monastique, que je suis allé prier à l’abbaye cistercienne de Bellefontaine, qui avait fondé la Trappe d’Oka. Là, le Seigneur m’attendait.

Novice à la Trappe d’Oka   

Il y a tant à faire dans le monde, pourquoi entrer au monastère, me demande un de mes amis? Je lui réponds que ce n’est pas pour fuir le monde, mais pour y être plus proche par la prière et l’amour de Dieu. Je ne désespère pas du monde, où le bon grain et l’ivraie croissent ensemble, je suis tout simplement transporté d’enthousiasme pour le Christ, qui m’appelle à le suivre au désert du cloître. Me revient en mémoire l’image reçue à ma première communion: « Je vais l’entraîner jusqu’au désert, et je lui parlerai cœur à cœur » (Os 2, 16).

Ce que l’on demande aux postulants qui arrivent au monastère : chercher Dieu. Pour saint Benoît, le moine cherche Dieu dans l’humilité et la joie par la conversion continuelle, la vigilance du cœur, l’obéissance et le désir d’aimer le Christ. Il entre au monastère parce qu’il aime la vie et qu’il veut être heureux, comme il est écrit dans le Prologue de la Règle, en référence au psaume 33 : « Qui donc aime la vie et désire les jours où il verra le bonheur » ?

Jacques Oka

Le 1er novembre 1973, je revêts l’habit blanc des novices qui indique le début du postulat. Je m’engage à vivre sous la Règle de saint Benoît qui commence par ces mots : « Écoute, mon fils, les préceptes de ton Maître, prête-moi l’oreille de ton cœur. » Ce texte exercera une influence considérable jusqu’à nos jours, à cause principalement de son équilibre.

Je me fais une haute idée de la vie monastique, que je dois sacrifier à ce moment pour accepter la réalité telle qu’elle est. Est-ce aussi cela tout donner au Seigneur, même mes idéaux? La communauté, qui compte une centaine de moines, traverse une crise qui se manifeste par le départ de plusieurs jeunes. Je me rassure dans le cœur à cœur de l’oraison où Jésus m’enivre de sa présence, avec l’intuition de le toucher dans le clair-obscur de ma foi, comme s’il était à côté de moi. 

Les mois passent. Le 21 juin 1974, en la fête du Sacré-Cœur, je m’engage officiellement comme novice pour deux ans. J’approfondis la Règle de saint Benoît, les écrits de saint Bernard de Clairvaux et des pères cisterciens. Nous formons une grande famille au monastère, unis par amour du Christ autour d’un abbé. On ne parle pas, sauf à de rares occasions, et jamais dans le cloître. Le silence ne me pèse pas, la solitude non plus. Le père abbé, Dom Fidèle Sauvageau, est vraiment un père pour moi qui me comprend et m’encourage.

Il me demande d’écrire des prières pour les offices des Laudes et des Vêpres. J’aime chanter l’office divin avec mes frères. Nous nous réunissons à l’église sept fois par jour, dès 4 h 15 le matin pour les vigiles jusqu’aux complies à 20 h 30. Il y a une telle unité entre nous au chœur et une telle poésie dans les hymnes et les psaumes que mon corps et mon âme en sont pacifiés, comme si mon esprit s’unissait aux anges pour louer le Dieu vivant. Les mots que mes lèvres murmurent s’harmonisent avec la saison liturgique. Et à la fin des complies, avant de monter dans nos cellules, nous saluons Notre Dame, la « mater misericordiae » du Salve Regina.

Rester tranquille

La vie monastique entre en moi par tous les pores de la peau. Elle me donne le goût du divin, m’inonde de la lumière du Christ. Je suis de plus en plus tiraillé entre l’attrait pour la poésie et le don de l’oraison, le besoin de reconnaissance et le rythme ordinaire de la vie monastique, lieu de mes limites, de mes faiblesses et de la rencontre de Dieu. Avec la fatigue, les sautes d’humeur, parfois, j’étouffe, et puis la paix revient. Je me dis que c’est peut-être l’œuvre du Malin qui essaie de me troubler, de créer la division en moi. Et si c’était une question de santé ?

Le médecin de la communauté m’examine; il note un taux anormalement bas de glucose dans le sang, ce qui provoque de l’hypoglycémie. Cette insuffisance me jouera bien des tours dans ma vie. Le sucre en est responsable, mais aussi le stress. On n’en meurt pas, mais ça peut donner parfois jusqu’à l’envie de mourir.

Début 1975, un père jésuite prêche la retraite annuelle qui me recentre davantage sur la présence de Dieu. Une parole retentit en moi, douce incantation qui se répètera pendant des mois : « Reste tranquille ». Elle fait écho au mot de saint Benoît : « Écoute ». C’est comme s’il me disait : arrête ton babillage intérieur et écoute la voix de Dieu en étant attentif aux autres et à la beauté qui t’entoure. Tout un programme! 

Retour aux études

Le maître des novices m’annonce que le comité de formation du monastère accepte que je termine mon cégep au campus du Séminaire Saint-Augustin à Cap-Rouge. Je demeure au pavillon des Assomptionnistes sur le campus du séminaire.

À 23 ans, je me sens un peu perdu parmi les jeunes étudiants d’une autre génération. Pourtant, la paix m’habite, car je suis ici pour parfaire mes études collégiales avec la bénédiction de mes supérieurs. J’obtiens une excellente note à la fin de l’année. La discipline acquise au monastère n’est pas étrangère à cette réussite.

Je retourne à Oka en juin 1976. On me nomme aux étables; excellente façon d’atterrir sur le plancher des vaches. Je me plais dans ce nouvel emploi très biblique. En octobre, je me rends à l’hôpital du Sacré-Cœur pour une opération délicate à l’épaule. J’y reste une dizaine de jours, m’unissant à Jésus souffrant. L’infirmière me plaît bien. Je réalise tout ce à quoi je renonce pour une vocation, que je ne remets pas en question. De retour au monastère, je rencontre dom Emmanuel Coutant, abbé de l’abbaye de Bellefontaine, qui commence à douter de ma vocation. Il se demande si toutes les richesses de mon être peuvent s’épanouir dans le cloître. Le maître des novices m’accompagne dans un juste discernement de ce que Dieu veut pour moi.

Du travail à l’étable, je passe à l’infirmerie du monastère, où je suis nommé aide-infirmier. Je m’épanouis dans cette responsabilité qui me rapproche des moines. Je ressens une grande aridité dans ma vie spirituelle et un intérêt croissant pour la poésie et l’écriture de livres.

Je désire plus que tout répondre au projet de Dieu dans ma vie : mieux me connaître pour que sa grâce se greffe au plus profond de mon être, sans me préoccuper de l’avenir. La recherche de Dieu me comble vraiment, car je veux aller au fond des choses et me perdre dans l’amour éternel. Mais est-ce que cette quête doit être menée au monastère? À la demande du maître des novices, j’écris sur une feuille ce que je vis au monastère : à gauche, la colonne du positif, à droite le négatif. 

J’en déduis que le besoin de tendresse et de communication est vital chez moi. Je me demande si Dieu ne m’appelle pas au mariage, si ma vocation monastique n’est pas un passage temporaire vers une autre forme d’engagement. Pourtant, je me sens plus solide, plus structuré dans ma vie intellectuelle, morale et spirituelle. Serais-je plus utile dans le monde?

Rester ou quitter

Je réitère tout de même ma confiance totale en Dieu et mon désir de faire sa volonté et ne pas prendre de décisions en état de crise. Je demande donc à faire profession, afin de mieux voir si je suis fait pour être moine. La communauté accepte que je prononce mes vœux pour un an. Ce que je fais à l’église le 11 juillet 1977, durant les vêpres de la fête de saint Benoît. La joie m’envahit; une immense action de grâce jaillit de mon cœur. Tous les frères me félicitent et me donnent l’accolade durant les jours qui suivent. Je ressens beaucoup d’amour de leur part, comme si le Christ me parlait à travers leurs sourires.

Mais la suite s’avère difficile; je maigris et je suis de plus en plus fatigué. J’échange avec Dom Fidèle le 4 décembre, jour de mes vingt-six ans. Il se rend bien compte qu’après toutes ces années je ne suis pas fait pour la vie monastique. Il m’aime assez pour ne pas me retenir; il en parlera au comité de formation. 

Le 13 décembre, le maître des novices m’annonce qu’il est préférable que je quitte la vie monastique. J’éprouve un profond sentiment de libération, mais aussi de crainte. Que faire maintenant? Où aller? Il m’assure que dans les circonstances c’est la volonté du Seigneur, que j’ai fait tout mon possible pour rester, et que l’Esprit saura bien me guider pour la suite des choses. L’appel que j’avais reçu, et auquel j’avais répondu avec amour, était bien réel, mais transitoire, en vue d’une autre mission. « Car mes pensées ne sont pas vos pensées, et vos chemins ne sont pas mes chemins – oracle du Seigneur. » (Is 55, 8)

Le 17 décembre, dans une lettre adressée aux moines, je rends grâce au Seigneur pour ces quatre années, malgré les tempêtes, où mon cœur a surtout été renouvelé par la beauté de la prière liturgique et le réalisme de la vie communautaire. Je précise qu’en délaissant la vie monastique je ne me sépare pas du Christ, que je reste un contemplatif dans l’âme, qu’il y a plusieurs demeures dans la demeure du Père et que je me confie à leurs prières.

Je garderai toujours une grande affection pour mes frères d’Oka, morts ou vivants. Avant de les quitter, je prends le temps de les saluer, parfois la larme à l’œil, avec cette délicate pudeur qui rend le silence si éloquent. Ils ne sont plus maintenant qu’une quinzaine à l’abbaye Val Notre-Dame, cachée comme une perle au creux de la Montagne-Coupée dans les Laurentides.

En février 2016, j’ai eu la joie d’animer leur retraite annuelle sur la miséricorde chez saint Bernard. Je me suis imprégné du parfum des lieux, de l’architecture moderne et lumineuse de l’abbaye, merveilleuse cathédrale de verre dans la nature. Au fond, je suis resté moine, monos en grec, « celui qui est seul », en Dieu.

Le 30 décembre 1978, je me marie avec Anne-Marie Bernier, femme de prière et de paix. Quelle grâce de prier ensemble, et de nous aimer dans le Christ! Nous fêtons cette année notre 45e anniversaire de mariage. Nous avons quatre enfants et deux petits-enfants. 

En 1987, je termine un doctorat en théologie à l’Université Laval sur la théopoésie de Patrice de La Tour du Pin. Puis, j’enseigne vingt ans à l’Université Saint-Paul d’Ottawa. Aujourd’hui, je persévère dans ma vocation de chercheur de Dieu en continuant à écrire des livres, plus de 80, et en animant des retraites spirituelles autant au Canada qu’en France. Qu’ajouter de plus? « Tout est grâce », comme disait si bien ma chère Thérèse de Lisieux.

Article paru dans la revue "L'Ami de Saint-Benoît-du-Lac", Québec, Été 2023, no 142, p. 18-21.

Pour aller plus loin, mon autobiographie spirituelle En sa présence (Artège/Novalis); lire les chapitres sur mon expérience monastique, p. 91-106. 

Pour lire gratuitement en ligne ce numéro d'été 2023 de "L'Ami de Saint-Benoît-du-Lac", allez sur le site Web: Les Amis de St-Benoît.

Se reposer avec le Christ
Louange au Créateur

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lundi 7 octobre 2024

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