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Le blogue de Jacques Gauthier

Poèmes en prose: le parfum

Cette suite de poèmes en prose est parue sous le titre, "Ce ciel enfermé dans l'âme", revue Moebius 137, Montréal, mai 2013, p. 27-30. Ce numéro, piloté par Jean-Paul Daoust, est consacré au parfum.

 

Un matin de brume le jour dessine l’étang. Le soleil entre par la bouche, hésite sur la pente où je cours comme un lièvre vers l’inconnu pour me baigner dans ses eaux sombres. Le sanglier introuvable cache le sentier, masque l’odeur de résine du bois. Je bénis le sol avec mes pieds nus, retrouvailles de la terre et de la pierre. Ce que je vois ne correspond à nulle carte. Il est bon de se perdre dans les sentiers ombreux d’un pays à deviner.

 

Les narines du chien se dilatent aux abords du marais tourbeux. Une libellule se fige sur ma main. Le soleil habille la vigne de sa clarté. À son ombre, la terre donne son fruit. Qui applaudit à un tel miracle? Les bouleaux fument et propagent dans l’air une cendre fertile. Voici revenus octobre et son encens.


Mes pupilles se dilatent au toucher d’une forme nue, doux baiser sur l’épaule, brise caressante. En arrêt, je me découvre dans le visage impassible. Je le touche en tremblant, coup d’envoi d’une autre épopée, d’une nouvelle fragrance. La barrière de l’horizon est levée sur le récit. Prisonnière du granit, la statue émerge, pèse sur ma nuque. Son nom me frappe en plein front et je deviens gisant endormi au seuil du tombeau lancé vers le ciel.


Les omoplates ont égaré leurs ailes. Nous en gardons mémoire dans l’envol des rêves migrateurs, des évasions nocturnes, des ferveurs amoureuses, du parfum d’humus. Que d’extases fabuleuses pour réapprendre à voler. Les oies blanches prennent le relais la nuit entre la cime et l’onde. Elles embaument le large d’un arôme de rosée. Nul ne peut les emprisonner. Leur vol n’est pas mirage. Elles glissent sans appui sur la mer et se libèrent par la rive.


Il n’y a plus de poussière de comètes dans nos maisons. Tout est aseptisé. Des arômes en bouteille filtrent les pollens dans l’espace clos. Comment s’envoler quand on ne sent plus l’autre côté des choses et que l’on a chassé les anges en calfeutrant les fenêtres?


À trop fixer la verrière, je titube, comme si j’étais aimé pour la première fois, au temps du patchouli. La beauté se dévoile dans le rouge d’une flèche vibrante. Elle suggère un je ne sais quoi qui ne saurait être révélé. Les jambes prises de vertige cherchent l’archer. Mes yeux sont remplis d’un souvenir d’exil plus loin que la naissance. Ils sont secs de ne pas assez brûler au chant des heures.


Je sors et je suis submergé d’air. Je suffoque à trop respirer. Le silence tombe sur moi. Je suis seul à l’entendre. Les choses ont une telle densité que mon âme peut y faire son royaume. Je m’abandonne à ce jour naissant comme le nageur solitaire frôle l’algue des profondeurs. À la lisière de l’aube, des perles dans l’air. J’en ferai un collier ce soir pour la reine du désert qui a le soleil comme manteau. Elle veille à mon côté depuis des lunes, si près dans la douceur et la douleur.


La sieste : un baume sur le corps bleui de mots illusoires, un parfum après la corvée matinale, une fleur offerte aux sens. Je m’évade quelques minutes par la fenêtre du ciel. Du songe s’égoutte le miel du jour, moi qui sommeille à demi, frais et vainqueur, dans la chambre basse. L’amertume fauche mes jambes sous la cloche de verre, coupole du vague à l’âme.


Assis depuis trop longtemps, j’absorbe la moindre vibration de l’univers. Je deviens la chaise, le paysage, l’air, le ciel. Je reste pétrifié sous un chêne démesuré, attentif à la moindre chose qui me polit le cœur : la feuille qui tombe, l’oiseau qui vole, le grain de sable qui roule, la fleur qui frissonne. L’œuvre émerge du bloc. Qui se lèvera de ce gouffre béant, large espace nourricier? L’écart rétrécit l’accueil, je succombe à l’espérance du muguet.


Le silence règne dans le vestibule en marbre blanc. Il ruisselle sur mon corps devenu réponse à la parole. Il rentre chez moi pour dire à voix basse ce qui laisse sans voix. Comment traduire son toucher intérieur. sa senteur sonore? Il revêt le mystère d’un manteau de lumière qui comble le vide entre les mots. Je prends sa piste dans la descente qui me creuse, la septième demeure de mon château intérieur. 

Ces poèmes en prose son tirés d'un recueil à paraître en 2014 aux éditions du NoroîtRêveries au Pont d'Oye.

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Vendredi 7 Février 2025

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