À la soirée Rive Gauche, poésie dite et chantée du 27 février, je lirai quelques poèmes de La vie inexprimable aux "Brasseurs du temps" à Gatineau. Le titre du recueil est emprunté à un poème de René Char "Commune présence".
"Tu es pressé d’écrire
Comme si tu étais en retard sur la vie
S’il en est ainsi fais cortège à tes sources
Hâte-toi
Hâte-toi de transmettre
Ta part de merveilleux de rébellion de bienfaisance
Effectivement tu es en retard sur la vie
La vie inexprimable
La seule en fin de compte à laquelle tu acceptes de t’unir"
La vie inexprimable, parce qu’inépuisable, atteint quelque chose de profond en soi. Le recueil est divisé en quatre parties: «Parfum quelque part», «Commencement n’est pas venu», «Blessure de l’invisible», «Le poids de l’ange». Ici, poésie et spiritualité marchent côte à côte dans l’incandescence d’une absence qui est une forme supérieure de présence. Je garde la féconde tension entre parole et silence, vie et mort. La fragilité du poème me ramène à mon propre enfantement. À la fin, dans un texte en prose "Accompagnement", je partage ce qu'on pourrait appeler mon "art poétique" qui est dépossession de soi, étonnement de vivre, connaissance intérieure, révélation de l’infini. Poésie : lucidité d’une conscience, d’une résistance, d’une espérance. Un souffle qui veut durer.
Voici cinq poèmes du recueil que je lirai à la soirée Rive Gauche, poésie dite et chantée, en marge du Salon du livre de l'Outaouais 2013.
Au premier jour de l’ivresse
le geste d’un enfant
le sentier marche vers lui
Il sonde la pierre où s’arrêter
la source où les yeux s’ouvrent
le cheveu qui les tient captifs
Un sursaut de clarté descend
Il va son chemin dans la vallée
la voix plus cristalline que le vent
Son regard s’expose à la brûlure
au bord de l’immensité du ciel
si proche (p. 29)
Tisonnier de l’oraison
j’erre sans scrupule
la tête baissée
devant l’anneau lumineux
Mes pas repèrent l’étincelle
le manque m’évide
vibration de la ronde blancheur
Je descends confondu
mille voix dans la forge
sur l’enclume de la parole
Prière en poussière
l’âme embrasée fend la bûche
Une goutte d’eau brille
rosée diamantée
une heure d’adoration
son souffle incendiaire
baptise le soleil (p. 47)
Longtemps j’y ai cru
à la pulsation de la marée
la plainte des messagers
qui soutenaient le vol
avec leurs cithares
Maintenant les souvenirs en gerbes
se contractent au moindre germe
chaque mot vrille en moi
l’inéluctable quête
J’ai perdu la note du labeur et du repos
Le livre traduit de signes voilés
se découvre aux assoiffés sans appui (p. 69)
En me laissant prendre la main
j’ai traversé en aveugle titubant
la forêt sombre de l’existence
accordé ma voix à l’inespéré
l’espace neigeux si différent
J’arrive maintenant de jour à l’auberge
avec sa table basse sa nappe blanche
le chœur d’anges autour
Leur chant d’ici à peine voilé
me destine à être musique là-bas
festin des noces dilatées
pour l’ivresse évanescente
Je prolonge la rencontre
éboui de ne rien offrir
le paradis à la sortie du monde
l’entrée de la vie (p. 77)
Anges de pierre des vieux cimetières
oasis de mousse et de fleurs fanées
mélancolie féminine de l’adieu ultime
l’imaginaire se repose dans votre pâleur
Vous donnez vie à nos songes ensevelis
statues endormies remplies d’énigmes
couvertes de lierre et de résine
masquées de toiles d’araignée
Les pigeons y passent au fil des saisons
vos ailes rongées par l’érosion du siècle
défient le divin statuaire de neige
sous le suaire de vos émanations
Anges d’hier plein d’aujourd’hui
l’excès d’amour nous manque
l’incandescence d’une transcendance
vole à travers vous jusqu’à nous (p. 78)
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