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Le blogue de Jacques Gauthier

Quelle spiritualité pour le XXIe siècle?

À l’aube de ses 60 ans, William Clapier propose un livre ambitieux par l’ampleur du sujet, et dense par les nuances apportées. Écrit à la suite d’un accident de vélo, il témoigne que c’est en allant au fond de soi que la personne peut se révéler pleinement à elle-même, pour mieux se changer, et ainsi changer le monde. La lecture, agréable et exigeante, n’a rien à voir avec les traités spirituels populaires. Les jalons bibliographiques proposés à la fin du livre montrent la diversité des sources de l’auteur.

Clapier

Au fil d’une vie

Quelle spiritualité pour le XXIesiècle ? L’immense point d’interrogation de la page couverture évoque le questionnement de l’auteur. Il développe avec discernement une vie spirituelle pour notre temps en ne négligeant pas la religion et la spiritualité, la foi au Christ et les valeurs communes de l’humanité. Sa quête spirituelle est inquiète, par les enjeux sociétaux de plus en plus complexes, et confiante, par son espérance en l’homme et son ouverture à Dieu présent au fond du cœur. « Comment aujourd’hui, en ce début du XXIesiècle, réentendre et laisser se déployer ce qui demeure au fond de l’homme ? Comment réhabiliter ce qui, en l’homme, rend l’homme plus humain ? (p. 231)

Clapier répond à ce questionnement en remontant le fil de sa vie. Cette approche personnelle rend le livre plus crédible : partir d’une vie concrète pour explorer la dimension spirituelle de la personne. Nous le suivons dans sa découverte des spiritualités orientales, bouddhistes et hindouistes, de son apprentissage de la méditation par la pratique de l’assise silencieuse, où il explore son intériorité par l’attention au corps et à la respiration. À travers ombres et désillusions, il évoque le Nom qu’il n’attendait pas, une sonorité silencieuse qui fonde sa foi et investit son cœur : Jésus-Christ, « vrai Dieu et vrai homme ». D’une expérience intuitive de l’amour à la transcendance de « l’au-delà », il découvre les poèmes de Jean de la Croix et Histoire d’une âme de Thérèse de Lisieux, qui lui apprend la petite voie de l'abandon et les mains vides de l’enfance spirituelle : « Aller à Dieu, en Dieu, avec la simplicité d’un cœur d’enfant » (p. 65). Cette conversion le conduit au Carmel à l’âge de 25 ans; il y restera vingt-trois ans comme carme. Il retourne à la vie laïque, non sans avoir publié quelques livres, dont sa thèse de doctorat, Aimer jusqu’à mourir d’amour. Thérèse et le mystère pascal, ainsi qu’une superbe biographie des parents de Thérèse, Louis et Zélie Martin : une sainteté pour tous les temps. Il travaille actuellement comme éducateur en milieu scolaire.

William Clapier affirme que la vie spirituelle est affaire de pratique, de découverte du trésor que nous sommes et qui est enfoui au fond de notre être. La réalisation spirituelle de chacun est de descendre dans ce fond sans fond, de tendre vers l’unité de tout l’être qui s’accomplit en Celui qui est tout. Il n’y a pas de méthode parfaite pour avancer au centre de soi-même, car chacun est son chemin. « Le bon usage d’une méthode spirituelle est d’aller au-delà de la méthode » (p. 191). "Appuyé sans aucun appui", disait Jean de la Croix. Il s’agit de libérer le cœur par l’œuvre de l’Esprit Saint, par l’assise de la méditation, dans le « silence du dedans ». L’auteur évoque tout au long de l’ouvrage cette technique, inspirée du yoga et du zen, qui a pour but « d’atteindre au calme du mental afin de libérer l’énergie spirituelle » (p. 78). Il propose lui-même dans le cadre d’un atelier hebdomadaire une initiation à la pratique de la méditation inspirée des voies bouddhiques. Il parle peu de son expérience de l’oraison carmélitaine. Rappelons ici que le but de l’oraison chrétienne, appelée aussi prière contemplative, n’est pas de ressentir un bien-être ou de faire le vide, mais de communier au Christ, de s’unir à Dieu dans la foi. 

Il m’a semblé que l’auteur était plus critique de l’Église institution que des autres religions, non sans raison peut-être, car elle a souvent oublié la dimension contemplative et mystique de l’Évangile. À aucun endroit, il mentionne la liturgie de l’Église, les sacrements, surtout l’eucharistie, source et sommet de la prière chrétienne. Il note avec justesse que la chrétienté catholique des siècles précédents n’a pas favorisé le dialogue avec les autres religions, soulignant la révolution qu’a apporté le concile Vatican II en reconnaissant les valeurs des religions non chrétiennes. En ce sens, l'Église a toujours besoin de réformes pour ne pas s'assoupir, se refermer sur elle-même, afin qu'elle soit une église en sortie, en revenant sans cesse à l'évangile, comme nous y invite le pape François. 

Déploiement de l’expérience spirituelle

Au troisième chapitre, le plus réussi à mon avis, Clapier se demande : « Où trouver Celui qui est partout » (p. 93). Il déploie en une centaine de pages la vérité spirituelle, qui est « polyphonique et symphonique », à partir surtout de maîtres comme Henri Le Saux et Jean de la Croix. Il nous guide avec sûreté sur les chemins de l’intériorité où nous passons du « moi » égocentré au « moi » relié. Pour y arriver, il préconise la pureté du cœur, le désir spirituel, la pauvreté en esprit, qui est l’âme de l’expérience spirituelle. Il énumère ensuite les phases de la vie spirituelle, ses écueils et ses repères, de l’enthousiasme des débuts à l’humble patience de la persévérance, de l’abandon confiant à l’heureuse épreuve qui apporte une nouvelle conscience, un nouveau mode d’agir vers l’indicible accomplissement du silencieux amour.

Dans ce monde en mutation, en crise de sens, la vie spirituelle demande un apprentissage continu. La foi, vécue comme attention et ouverture au mystère, est un guide pour les aveugles que nous sommes. Deux dangers nous guettent sur la route du voyage intérieur: le dogmarisme et le sectarisme. Un accompagnateur spirituel s’avère nécessaire pour ne pas se perdre en chemin, note Clapier. Les religions peuvent freiner la découverte de ce chemin personnel, mais elles peuvent aussi être au service de la vie spirituelle. Au lieu de voir seulement les éléments négatifs de la religion, on peut se rappeler le mot de Camus à propos de la politique : « L’honnêteté consiste à juger une doctrine par ses sommets, non pas par ses sous-produits ».

Pour Clapier, l’avenir de l’humanité passe par une spiritualité en dialogue où la liberté de conscience est vitale, puisqu’elle favorise l’éveil spirituel. L’intégration de cette spiritualité se vit surtout par la méditation et la prière, qui sont des actes politiques essentiels, parce qu’ils permettent de rester ancrés dans la réalité en étant reliés à soi et aux autres. La méditation et la prière placent l’être humain et l’amour au centre, non le dieu argent et la frénésie de la technologie. « Voilà ce qui est le plus précieux dans une vie : être aimé et aimer » (p. 218).

L'auteur est convaincu qu’en préservant les ingrédients fondamentaux de la vie spirituelle, l’être humain vivra son plein épanouissement. Il mentionne trois de ces ingrédients : l’attention silencieuse qui permet de discerner ce qui est juste, le sens du mystère qui ouvre à l’inexplicable présence, le dialogue pour écouter autre que soi afin d’éviter l’enfermement. Ces trois pratiques sont « les remèdes du sectarisme idéologique, qu’il soit religieux, philosophique, psychologique, politique, scientifique » (p. 234-235).  

Clapier consacre de belles pages sur l’amour altruiste, le détachement, l’humilité, la foi nue, Dieu. Il prône un dialogue interreligieux qui devient chemin de paix pour l’humanité. Il aborde les différentes religions et les textes évangéliques dans un esprit d’ouverture respectueuse, évitant que la vie spirituelle ne sente " le renfermé", selon l'expression du pape François. 

« Chercher la substance des choses de manière ouverte, sereine, c’est vivre la vie de l’esprit. C’est être dans la vérité d’une démarche spirituelle. Sans s’évader de la condition humaine. Au contraire, en poursuivant ainsi notre chemin, nous serons mobilisés pour la défense de la vie de l’homme, de tout homme et de tout l’homme. Sans omettre son environnement naturel. Cela commence certes par la pratique de l’assise silencieuse et aussi en souriant à notre conjoint, à nos enfants, à nos collègues de travail, au SDF assis dans la rue, à celui qui nous indiffère croisé dans la cage d’escalier, dans le tram, tout comme en déposant des bouteilles usagées dans le bac à recyclage de notre quartier. La vie spirituelle est affaire de pratique. Elle ramène à l’essentiel, à l’intérieur de nous-mêmes en nous extirpant de l’inessentiel et de la superficialité » (p. 236). 

Il se peut que les non-chrétiens ne se sentent pas concernés par la foi de l’auteur, que les chrétiens soient moins interpelés par ses références aux sagesses orientales, que les athées et agnostiques soient indifférents à sa notion de Dieu. Mais qu’importe, l’amour du Christ le presse, tout en s'appropriant ce conseil de François de Sales : « Ne parle de Dieu que si l’on t’interroge, mais vis de telle façon qu’on t’interroge ».

William Clapier, Quelle spiritualité pour le XXIesiècle? Paris, Presses de la renaissance, 262 pages, 2018.

Pour aller plus loin : Henri Caffarel, maître d’oraison (Cerf) ; Les saints, ces fous admirables (Novalis) ; Saint Jean de la Croix (Presses de la Renaissance) ; La prière chrétienne, guide pratique (Presses de la Renaissance). 

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vendredi 29 mars 2024

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