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Le blogue de Jacques Gauthier

Qu'est-ce que la communion des Saints?

Entretien avec Antoine Malenfant, rédacteur en chef du magazine Le Verbe, Québec, printemps 2022, p. 48-53.

À la messe dominicale, les fidèles récitent le Symbole des apôtres. Dans cette profession de foi, l’un des premiers éléments découlant de la foi en l’Esprit Saint concerne le dogme de la «communion des saints». De quelle communion s’agit-il? 

De celle qui existe dans la Trinité, une communion faite de don et d’amour. C’est ce à quoi nous sommes appelés à vivre dans nos couples et nos familles où, idéalement, nous sommes unis les uns les autres pour aimer, pardonner, partager. C’est ce qu’essaie de vivre avec mon épouse Anne-Marie, nos enfants et petits-enfants.

Le mystère de la communion des saints est celui de l’Église elle-même, qui n’est pas une organisation, mais un corps qui vit de la foi de ses membres, dont le Christ est la tête et Marie, notre mère. Nous nous communiquons ce Christ les uns les autres selon les charismes et grâces propres à chacun. Cette communication se fait surtout par les sacrements de l’Église, par lesquels nous communions au même Esprit et à la même mission de sainteté. 

Toussaint

Cette communion dans le Christ est donc celle de tous les fidèles. 

Oui. Le chrétien est uni aux autres fidèles qui sont déjà au ciel (église triomphante), ceux qui sont au purgatoire (église souffrante) et ceux qui sont en pèlerinage de foi sur la terre (église militante). La sainteté de l’un profite à l’autre, la prière aussi. « Tout est lié », disait le pape François dans son encyclique sur l’écologie, Laudato si'). Nous sommes interdépendants les uns les autres dans le don de soi, ce qu’évoque le mystère de la communion des saints. Plus nous donnons ce que nous avons reçu, plus nous sommes libres et saints, à l’image de la Trinité.

Comment vivre cette solidarité de la sainteté entre nous?

Par la foi, l’espérance et l’amour, qui nous unissent à Dieu et aux autres. En partageant entre nous la souffrance et la joie. « Si un seul membre souffre, tous les membres partagent sa souffrance ; si un membre est à l’honneur, tous partagent sa joie. » (1 Co 12, 26) Nos actes d’amour construisent l’Église, nos péchés l’affaiblissent. On ne devient pas saint tout seul, mais avec les autres. 

Thérèse de Lisieux, ma sainte favorite, avait un sens aigu de la communion des saints, elle disait, peu de temps avant sa mort : « Je pense quelquefois que je suis peut-être le fruit des désirs d’une petite âme à laquelle je devrai tout ce que je possède. » Voilà le sens profond de cette solidarité, où l’on ne s’attribue rien, mais où l’on reconnaît que tout vient de Dieu et de nos amis les saints et les saintes. Et l’Église possède tous les outils nécessaires pour « faire » des saints.

Bien sûr, il y a ceux et celles qui sont officiellement béatifiés et canonisés, mais il y a les autres qui ne sont pas élevés sur les autels, qui ne sont d’aucun calendrier officiel. Ces saints du réel quotidien, nous les retrouvons souvent dans nos propres familles. Nous partageons avec eux une même communion dans le Christ et un avenir commun, la vie éternelle.

Qu’est-ce que la sainteté pour vous?

C’est Dieu en nous et nous en lui. C’est accueillir l’amour de Dieu dans notre vie de tous les jours. La sainteté est une question d’accueil et d’amour, non de perfection et de performance. C’est la plénitude de la vie chrétienne, l’œuvre de l’Esprit Saint en nous qui nous configure au Christ, notre modèle, le Saint par excellence. 

La sainteté est donc l’œuvre de Dieu, non la nôtre. 

La sainteté, c’est accomplir notre vocation au bonheur, consentir à ce que le Père veut que nous soyons, réaliser notre mission avec le Christ dans l’Esprit, ne pas désespérer de l’humanité, puisque Dieu lui-même s’est incarné en elle. Cette sainteté se vit au quotidien avec les gens ordinaires de notre rue, comme l’a bien montré la laïque Madeleine Delbrêl, dont la cause de béatification est à Rome, et que je cite dans mon livre Devenir saint: « Nous autres, gens de la rue, croyons de toutes nos forces que cette rue, que ce monde où Dieu nous a mis est pour nous le lieu de notre sainteté. Nous croyons que rien de nécessaire ne nous y manque, car si ce nécessaire nous manquait, Dieu nous l'aurait déjà donné. »

Ce n’est pas toujours l’image que l’on se fait de la sainteté.

Les images que nous nous faisons de la sainteté sont tributaires de nos conceptions de Dieu qui sont toujours à purifier. La sainteté n’est pas synonyme de canonisation, d’équilibre psychologique, d’héroïsme surhumain, mais d’amour de Dieu et des autres. François de Sales disait qu’on devient saint en prenant l’Évangile comme règle de vie et l’amour comme unique méthode. Il n’est pas nécessaire d’avoir tel style de vie pour se sanctifier. L’important est d’accomplir notre devoir d’état le mieux possible en unissant notre volonté à celle du Christ, en modelant notre vie à la sienne, comme le rappelle si bien Charles de Foucauld, qui sera canonisé à Rome le 15 mai 2022. Je lui ai consacré un livre qui paraîtra en avril. Décidément, mes amis ne sont pas très reposants, mais je les aime tellement, car ils sont de bons conducteurs de Dieu.

Au fond, nous pouvons tous devenir saint ?

Eh oui ! Nous tous, qui sommes créés à l’image de Dieu, baptisés au nom du Père, du Fils et de l’Esprit. Saint Paul appelait les chrétiens « le peuple saint » (Rm 1, 7).  Ce qui ne veut pas dire que les non baptisés ne peuvent pas devenir saints. Dieu seul est saint, mais il nous appelle à une sainteté filiale, à l’accueil de sa miséricorde dans nos blessures et faiblesses. Est saint celui qui aime, pardonne, prie, en voulant faire la volonté du Père en toute chose, à la suite du Christ. Pas besoin d’être canonisé pour cela.

Les saints « officiels » n’étaient pas parfaits, mais ils aimaient Dieu à la folie. Ce n’était pas toujours facile de vivre avec eux, ce qui faisait dire à quelqu’un que ce ne sont pas eux que l’on devrait canoniser, mais ceux et celles qui ont vécu avec eux! Ils avaient eu aussi des angoisses, des blessures intérieures, des doutes, des scrupules, des défauts. Ce qui ne les a pas empêchés d’être joyeux et heureux, de vouloir faire plaisir à Dieu dans les petites choses du quotidien, car ils avaient une confiance totale en lui. La sainteté reste donc à notre portée, nous qui sommes imparfaits et blessés.

Vous en conviendrez, il est impossible de penser à cette communion des saints sans passer par l’épitre de Paul aux Corinthiens (1 Cor 12, 27), que Péguy paraphrasait si bellement dans Le mystère de la charité de Jeanne d’Arc (1897) : «Il y a la communion des saints ; et elle commence à Jésus. Il est dedans. Il est à la tête. Toutes les prières, toutes les épreuves ensemble, tous les travaux, tous les mérites, toutes les vertus ensemble de Jésus et de tous les autres saints ensemble, toutes les saintetés ensemble travaillent et prient pour tout le monde ensemble, pour toute la chrétienté, pour le salut de tout le monde.» Le Christ à la tête serait-il une condition nécessaire de cette unité?

Bien sûr, il est la tête, mais nous sommes les membres de son corps. Nous allons plus vite avec lui, et on va plus loin tous ensemble, en famille, en Église. Dans le Christ, se trouvent cachés « tous les trésors de la sagesse et de la connaissance » (Col 2, 3). Saint Paul ira jusqu’à dire qu’uni au Christ par amour, il trouve sa joie dans les souffrances qu’il supporte pour la communauté : « ce qui reste à souffrir des épreuves du Christ dans ma propre chair, je l’accomplis pour son corps qui est l’Église » (Col 1, 24). 

Nous sommes voulus pour nous-mêmes, parce que nous sommes créés à l’image de Dieu et sauvés dans le Christ. En lui, par lui, avec lui, tout est lié dans l’espace et le temps, sur la terre et dans le ciel; tout est relation entre l’univers visible et invisible, entre nous et les anges, les saints.

L’expérience humaine témoigne que c’est souvent dans la souffrance partagée que les âmes atteignent les plus hauts degrés de communion. Faut-il absolument, comme le Christ, passer par la croix pour communier au Père et à nos frères et sœurs?

Nous souffrons tous; ça fait partie de la vie. Mais, « est-ce que je souffre bien », disait la petite Thérèse. Elle répond qu’elle peut tout supporter au moment présent, puisque Dieu lui donne la force « rien que pour aujourd’hui ». Hier, c’est passé; demain, c’est parfois décourageant; alors je m’unis au Christ sur la croix, maintenant. 

Le Seigneur peut se choisir des âmes pour l’accompagner dans sa passion, des stigmatisées comme Dina Bélanger et Georgette Faniel, que je connais bien, puisque j’ai écrit leurs biographies. Mais nous ne sommes pas tous appelés à ce degré d’union mystique dans le Christ. En revanche, nous pouvons tous nous unir au Christ, lui faire confiance, communier à sa passion, là où nous sommes, en ne quittant pas des yeux sa croix et sa résurrection. Saint Paul le dit merveilleusement bien : « Il s’agit pour moi de connaître le Christ, d’éprouver la puissance de sa résurrection et de communier aux souffrances de sa passion, en devenant semblable à lui dans sa mort, avec l’espoir de parvenir à la résurrection d’entre les morts » (Ph 3, 10-11). Paradoxe du christianisme que d’unir ainsi joie et souffrance, puisque l’amour absorbe tout, jusque dans la communion des saints.

Pourquoi s’intéresser aux saints ? Les prier ?

Parce qu’ils donnent de l’espérance. Et Dieu sait que nous en avons besoin aujourd’hui. C’est encourageant de savoir que des gens comme nous sont près de Dieu et qu’ils nous accompagnent ici-bas, nous tirent en avant, nous montrent le Christ pour l’imiter. Nous n’avons pas à les copier, mais à vivre l’amour ardent qu’ils ont pour le Christ. Le curé d’Ars disait : « Je fais volontiers une belle place aux saints ici-bas pour qu’ils me fassent une petite place au ciel ».

Prier les saints, c’est reconnaître que Jésus est l’unique médiateur de Dieu et des hommes, car c’est par lui que les saints et les saintes intercèdent pour nous auprès du Père. Ce ne sont pas des géants inaccessibles, mais des amis qui nous aident à traverser les épreuves de la vie, à trouver notre propre chemin de sainteté. En les priant, nous exprimons notre confiance et notre relation en un Dieu proche, intime au cœur. Avec eux, nous devenons des amis de Dieu. Le pape François en parle dans l’un de ses plus textes, son exhortation Gaudete et exsultate sur l’appel à la sainteté dans le monde actuel. 

Depuis quand avez-vous un tel intérêt pour les saints, je dirais une telle amitié ?

C’est drôle que vous me posez cette question, car je viens justement d’écrire sur ce sujet dans mon autobiographie qui paraîtra en septembre 2022 aux éditions Artège et Novalis, sous le titre En sa présence. Votre question est juste ; il s’agit vraiment d’une amitié dans le Christ. Ce mystère de la communion des saints est très bien évoqué dans la préface 1 pour la messe des saints : « Dans leur vie, [Père très saint], tu nous procures un modèle, dans la communion avec eux, une famille, et dans leur intercession, un appui ». Ils me transmettent un feu de joie qui ne peut venir que de l’Esprit. Ils sont le plus beau visage de l’Église.

« L’heure des saints vient toujours », déclarait Bernanos. Ces « fous admirables », selon l’expression de Marie Noël, incarnent la folie d’amour d’un Dieu qui a pour nom miséricorde. Leurs exemples m’ont suivi dès l’enfance jusqu’à ce jour, malgré ma période hippie. Dès que j’ai commencé à lire, j’étais fasciné par les bandes dessinées de saints. Cet attrait répondait probablement à un besoin de modèles et de dépassement, un grand désir de vivre pleinement. Déjà à cet âge, j’avais cette vague impression que la vie d’ici-bas ne me suffisait pas, que j’étais fait pour la patrie céleste et pour l’éternité. Je me sentais appelé à une grande aventure, à être un ardent témoin du Christ, à parler et à écrire sur Dieu. Mes amis du Ciel m’encourageaient à avancer sur cette voie, comme s’ils me disaient : « Jacques, ce n’est pas facile, mais c’est possible et c’est très beau ! »

À vingt ans, j’ai vécu une conversion, une rencontre très forte du Christ par Marie, qui m’a ramené à mes amis les saints. Ils m’attirent parce qu’ils me rendent le Christ attrayant, incarné, vivant. Ils sont ses amoureux qui ont partagé les mêmes combats et préoccupations que moi, les mêmes espérances et déceptions. Je leur parle comme à des compagnons de route qui ont mené la même aventure de la liberté et de la vérité. Ils m’aident à libérer le saint qui se cache en moi comme un bloc de marbre non encore sculpté, que l’amour de Dieu veut ciseler pour qu’apparaisse son image. 

Dans Jeanne, relapse et sainte (1934), Bernanos écrit que «notre Église, c’est l’Église des saints». Ces saints, vous les avez tant fréquentés – en racontant notamment leurs histoires – qu’il nous semblait tout naturel de terminer cet entretien en vous demandant ce que leurs vies ont en commun. 

Les saints ont en commun une vie d’oraison, qui est le secret de la sainteté (j’en parle depuis des années dans ma chronique sur la prière dans Le Verbe), l’écoute aimante de la parole de Dieu, l’humilité du cœur, la joie de la croix, le service désintéressé, le renoncement à eux-mêmes. Ces points forts sont des signes sûrs de la sainteté, beaucoup plus que les miracles, les guérisons, les phénomènes extraordinaires.

Les saints et les saintes nous disent qu’il ne s’agit pas de briller comme des stars et de vaincre comme des héros, mais d’éclairer et de laisser le Christ triompher en nous. Ils nous montrent qu’on devient saint en laissant Dieu faire son œuvre en nous, ce qui suppose une bonne dose d’abandon, car les luttes ne manquent pas dans ce combat spirituel. « Aimer et laisser faire Jésus et Marie », disait la bienheureuse Dina Bélanger de Québec, dont on fête cette année le 125e anniversaire de sa naissance. 

Quelle belle aventure tout de même que celle de la sainteté ! Ce qui faisait dire à Léon Bloy, que la seule tristesse, c’est de ne pas être des saints. Mais on y arrive à petits pas. Ne nous décourageons pas. La sainteté est essentiellement une expérience de la miséricorde divine.

 

Jacques Gauthier a écrit plus de 80 livres, dont une trentaine sur la sainteté. Nous vous suggérons les plus récents : Les saints, ces fous admirables (Novalis/Béatitudes, 2018) ; Devenir saint. Petit mode d’emploi (Emmanuel/Novalis, 2020) ; Thérèse de Lisieux, parole d'espérance pour les familles, (Béatitudes, 2021) ; Saint Charles de Foucauld. Passionné de Dieu (Novalis / Emmanuel, 2022).

Lire aussi : les articles sur la sainteté dans son blogue: cliquez ici
Les vidéos sur ma chaîne YouTube, dont une retraite complète de 8 entretiens sur « Devenir saint ».

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Première vidéo de 22 minutes de ma retaite en huit entretiens sur la sainteté dans ma chaîne YouTube:

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mardi 17 septembre 2024

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