Le blogue de Jacques Gauthier
Saint frère André
Émission du 12 octobre 2010
Saint frère André, portier d’espérance
À la fin du 19e siècle, un frêle religieux de la Congrégation de Sainte-Croix, portier au collège Notre-Dame à Montréal, contemplait souvent la montagne qui se dressait devant sa fenêtre. Il y voyait un oratoire dédié à la gloire de saint Joseph. Cette vision était portée par une foi à transformer les montagnes. Le rêve deviendra réalité. À sa mort en 1937, un million de personnes convergeront vers la dépouille de l’humble frère, au pied de l’Oratoire du Mont-Royal, le plus grand lieu de pèlerinage au monde consacré à saint Joseph. Il sera déclaré saint par Benoît XVI le 17 octobre 2010, devenant ainsi le premier homme né au Canada à recevoir une telle grâce, après Marguerite d’Youville, canonisée en 1990.
Les étapes vers la canonisation
Comment l’Église reconnaît-elle la sainteté d’un baptisé? Il y a trop étapes à suivre : l’étape diocésaine, romaine et celle qui conduit à la canonisation proprement dite par le pape. D’abord, les gens eux-mêmes manifestent un culte spontané envers un serviteur ou une servante de Dieu, ici le frère André. Vox populi, vox dei. L’évêque du diocèse où est décédé le candidat juge du bien-fondé d’une enquête pour montrer l’héroïcité de ses vertus. Cette enquête importante est faite par le « Postulateur » qui envoie sa « positio » à la Congrégation pour la Cause des Saints à Rome.
Après l’étude historique et théologique de sa vie, de ses œuvres et de ses écrits, l’Église peut proclamer le candidat vénérable. Pour frère André, ce fut fait le 12 juin 1978. Un miracle accompli par son intercession lui ouvre les portes à la béatification. Il est béatifié par Jean-Paul II le 23 mai 1982, après la reconnaissance d’une guérison miraculeuse. Un tribunal composé de neuf médecins a retenu le cas du New-Yorkais Joseph Audino, guéri en 1958 d'un cancer du foie généralisé. Le rapport de 966 pages et 150 radiographies était concluant : la médecine ne pouvait pas expliquer cette guérison.
Une autre guérison scientifiquement inexplicable est officiellement reconnue par Benoît XVI, ouvrant ainsi la voie à sa canonisation à Rome le 17 octobre 2010. La famille du « miraculé » ne souhaite pas être identifiée pour le moment. C’est un jeune garçon d’à peine 10 ans qui fut happé par une auto alors qu’il circulait à vélo. Cet accident, survenu en 1999, lui infligea un sérieux traumatisme crânien et le plongea dans un coma irréversible. Un arrêt cardiocérébral était prévisible. À ce moment, à l’Oratoire Saint-Joseph, un membre de la famille demandait au frère André la guérison de l’enfant qui sortit du coma. Cette guérison a été jugée scientifiquement inexplicable par plusieurs experts en médecine. Le rapport de 800 pages des médecins fut authentifié par le Vatican. Une commission théologique a ensuite attribué la guérison au frère André. Aujourd’hui, l’enfant a 20 ans et il se porte à merveille. Benoît XVI engage fortement son autorité en proclamant saint le bienheureux frère André lors d’une célébration de canonisation. Son culte sera ainsi rendu possible dans toute l’Église universelle.
Qui est le frère André?
Né le 9 août 1845 à Saint-Grégoire d’Iberville, orphelin dès l’âge de douze ans, Alfred Bessette se débrouille tôt dans la vie. Il tente même sa chance dans les usines de textile du New Hampshire et du Connecticut. À l’aube de la vingtaine, il revient au pays en cherchant un sens à sa vie. Il aime prier, réciter son chapelet. Sa simplicité le rend très proche de saint Joseph qu’il fréquente comme un ami fidèle.
Le curé de Saint-Césaire, l’abbé André Provençal, présente Alfred aux religieux de la congrégation de Sainte-Croix, à Montréal. « Je vous ai envoyé un Saint », écrit-il au supérieur. Parole prophétique ! Mais on hésite à l’accepter, compte tenu de sa santé fragile et de son instruction limitée. À cette époque, beaucoup de frères enseignaient dans les écoles. Alfred ne sait pas écrire; il signe péniblement son nom. Il est accepté au noviciat en décembre 1870 à l’âge de 25 ans. C’est justement l’année où Pie IX déclare saint Joseph patron de l’Église universelle.
Devenu frère André, il suit avec ferveur les exercices de la vie religieuse. Lui qui a tant erré ici et là, a enfin trouvé le lieu où se donner à Dieu en toute liberté. Il ne se démarque pas vraiment des autres, si ce n’est par sa grande piété et son dévouement. Pourtant, le Conseil provincial ne l’admet pas aux vœux temporaires parce que son état de santé reste trop chancelant. Abattu, mais non vaincu, le novice va s’entretenir audacieusement avec Mgr Ignace Bourget, alors évêque de Montréal. Celui-ci se laisse convaincre par la force tranquille du petit frère et il lui assure que la communauté le gardera.
Frère André prononce ses vœux perpétuels à l’âge de vingt-huit ans. Il assumait déjà la fonction très exigeante de portier. Il dira avec humour : « Quand je suis arrivé au collège, ils m’ont mis à la porte, et j’y suis resté 40 ans ». Que de fois n’a-t-il pas entendu frapper? Lorsqu’il ouvre aux gens, surtout les malades, c’est Jésus qu’il accueille et il prie saint Joseph pour eux. Plus tard, il les accueillera à l’Oratoire, l’œuvre de sa vie.
Pour quelqu’un qu’on disait de santé fragile, il se dévoue sans compter au service de sa communauté, étant à ses heures jardinier, coiffeur, laveur de planchers et de vitres, linger, commissionnaire. Il visite les malades avec compassion. De la fenêtre de sa chambrette de portier, il contemple souvent la montagne. Un désir le talonne sans cesse : construire une chapelle à saint Joseph.
Le thaumaturge du Mont-Royal
Frère André commence la construction de la chapelle en 1904 avec l’aide de quelques amis. Homme du peuple, il aura toujours le souci de collaborer avec les laïcs. La chapelle sera agrandie à quelques reprises. Le charpentier de Nazareth avait besoin d’un portier pour bâtir son oratoire qui deviendra le plus grand centre de pèlerinage au monde consacré à saint Joseph. Frère André ne se considérait pas comme le créateur de l’Oratoire, mais comme un simple instrument. Que de fois n’a-t-il pas dit : « L’Oratoire, c’est l’œuvre du bon Dieu. Il en fera ce qu’Il voudra ».
Libéré de sa tâche de portier à l’âge de 63 ans, frère André devient le gardien du petit oratoire en juillet 1909. En 1917, la crypte, pouvant accueillir 1000 personnes, est inaugurée. Et l’on commence en 1924 la construction de la basilique qui sera interrompue durant la crise économique de 1929. En 1936, la structure s’élève sans qu’on ait l’argent nécessaire pour y mettre un toit. On en parle au vieux frère : « Prenez la statue de saint Joseph et mettez-la au milieu de la basilique : si saint Joseph veut se couvrir, il en trouvera bien les moyens ». L’été suivant, le toit couvrait la grande église qui ne sera terminée qu’en 1967.
La réputation de frère André dépasse les frontières. On signale en 1916 plus de 400 guérisons. On le surnomme « le thaumaturge du Mont-Royal ». À un clerc qui le met en garde contre l’orgueil, il sourit en sortant de sa poche une statuette de saint Joseph : « Il n’y a pas de danger : j’ai saint Joseph dans ma poche. » À ceux qui pensent qu’il fait des miracles, il dit simplement : « Le Bon Dieu fait des miracles, et saint Joseph les obtient. »
L’ami de saint Joseph inspire ceux et celles qui s’approchent de lui. Il leur parle de Dieu et il les porte à Dieu. Pour les gens ordinaires, nul doute que cet homme est un saint, car il irradie l’amour de Dieu et il suscite l’espérance. Pas étonnant qu’à sa mort, survenue le 6 janvier 1937 à l’âge de 91 ans, un million de personnes défilent devant son cercueil. Comme le disait si bien le curé d’Ars : « Là où les saints passent, Dieu passe avec eux ». Pour le frère portier, on pourrait dire : « Là où les saints frappent, Dieu entre avec eux. »
Frère André aujourd’hui
N’oublions pas que frère André est tributaire de son temps, certaines de ses paroles nous « parlent » moins dans notre contexte socio-culturel. Il faut les replacer en leur époque qui était moins sensible que la nôtre à la cause des femmes, à l’environnement, à la psychologie. Le piège de l’anachronisme nous guette toujours lorsqu’on évoque les figures du passé. Par exemple, la théologie d’aujourd’hui, issue du concile Vatican II, n’est pas celle du temps de Frère André, plus sensible à la Passion du Christ qu’à sa résurrection. Par contre, lorsqu’il parle de la souffrance, c’est une occasion pour lui de s’unir à la croix de Jésus, de prier et de faire confiance au bon Dieu. Cette expression de son temps, « le bon Dieu », revient toujours sur les lèvres de frère André. Les expressions populaires de la foi varient avec les époques, les dévotions changent selon les sensibilités, mais la réalité de la foi demeure : Dieu est amour et il nous aime. « Comme le bon Dieu est bon », disait souvent l’humble portier.
Saint frère André a quelque chose à nous dire dans notre société laïque. Sa vie fidèle et son action tenace témoignent que la vie vaut la peine d’être vécue, que nous sommes dignes d’être aimés. Son dévouement pour les démunis trouve écho à nos oreilles. Il montre que le Christ n’exclut personne, que la foi chrétienne engage toute la vie, qu’il est important de respecter les gens qui ne croient pas et ne pensent pas comme nous, que la prière est le secret de la sainteté, que la miséricorde de Dieu est infinie, qu’il faut garder confiance et courage.
L’humble portier en aura ouvert des portes dans sa vie, mais celle qu’il nous invite à prendre aujourd’hui dans la foi débouche sur ce dynamisme intérieur qu’on appelle l’espérance. C’est ce dont nous avons probablement le plus besoin, individuellement et collectivement, un jour à la fois.
Pour en savoir plus sur les étapes de la canonisation dans l’Église et frère André, écouter mon entrevue à Radio Ville Marie en cliquant Entrevue avec Jacques Gauthier .
Pour en savoir plus, lire mon petit essai, Frère André, la force tranquille, http://www.jacquesgauthier.com/livres/spiritualite.html
Voir aussi un article intéressant du quotidien Le Devoir, http://www.ledevoir.com/societe/actualites-en-societe/283541/un-portier-au-royaume-des-saints
Jacques Gauthier
À propos de l'auteur
Marié et père de famille, poète et essayiste, son oeuvre comprend plus de 80 livres, parus au Québec et en Europe, et traduits en plusieurs langues. Il a enseigné vingt ans à l'Université Saint-Paul d'Ottawa. Il donne des conférences et retraites que l'on retrouve dans sa chaîne YouTube. Pour en savoir plus: Voir sa biographie.
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