Le blogue de Jacques Gauthier
Un regard de foi (2) Le catholicisme québécois
Dans la première partie de ce blogue, je vous ai partagé mon témoignage ecclésial. Ce regard de foi, sous forme de témoignage, a préparé cette réflexion du catholicisme québécois que je vous livre en toute simplicité.
Si on jette un regard extérieur sur le catholicisme québécois, en se fiant seulement aux sondages et aux statistiques, on peut dire que la barque Église prend l’eau. Un regard de foi voit plus loin ; il part de l’Évangile pour confronter l’Église aux paroles et aux gestes libérateurs de Jésus. Il est vrai que la tempête fait rage, mais Jésus est dedans la barque, et même s’il dort, il est là. N’est-ce pas l’essentiel, être avec Jésus ? C’est une question de foi et de confiance
Un manque de foi
L’Église catholique québécoise, comme une grande partie de l’Église dans les pays développés, est affectée par la défection des fidèles et des jeunes qui ignorent son message, par la sécularisation de la société laïque qui se méfie des religions, par la perte du sens de Dieu et de la morale face à l’autonomie de la personne. Ajoutez à cela le scandale de la pédophilie, le vieillissement du clergé et des communautés religieuses, la bureaucratie excessive, le clivage entre traditionaliste et progressiste, il y a de quoi désespérer. Alors, on peut se demander avec Jésus : « le Fils de l’homme, quand il viendra, trouvera-t-il la foi sur la terre ? » (Lc 18, 8).
Jésus pose cette question à la fin d’une parabole sur la nécessité de toujours prier sans se décourager. Il met en scène une veuve qui importune un juge dépourvu de justice. Il l’exauce pour ne plus être ennuyé. Et Jésus d’en tirer la conclusion pour les disciples : « Et Dieu ne ferait pas justice à ses élus, qui crient vers lui jour et nuit ? Les fait-il attendre ?Je vous le déclare : bien vite, il leur fera justice. » (Lc 18, 7-8)
Mais restera-t-il la foi au Québec quand viendra le Fils de l’homme ? Oui, si nous retrouvons nos racines missionnaires, si nous méditons la Parole de Dieu, si nous crions vers lui jour et nuit, si nous passons d’une mentalité de domination à une pastorale de service, si nous croyons à cette promesse de Jésus : « Et moi, je suis avec vous tous les jours jusqu’à la fin du monde. » (Mt 28, 20)
Selon moi, deux grands défis demeurent. Vivre l’expérience de la foi en se souciant des articulations qui existent entre l’humain et le spirituel. Rendre compte de l’espérance chrétienne dans une culture où la foi est devenue inintelligible pour plusieurs. Comment ? En reliant notre foi aux questions que les gens se posent. En témoignant du Christ qui nous fait vivre à partir de ce que nous sommes. Le Synode sur la famille qui se tient à Rome jusqu'au 19 octobre 2014, et qui se prolongera en octobre 2015, illustre bien ces deux défis à relever.
Une Église missionnaire
En écrivant mes petits livres sur nos nouveaux saints que sont Kateri Tekakwitha, François de Laval et Marie de l’Incarnation, j’ai constaté à quel point la Nouvelle-France est née d’une véritable épopée mystique. Cela fait partie de notre ADN. On l’oublie souvent, même si notre devise est « Je me souviens ». Les missionnaires jésuites et récollets, les Ursulines et les Hospitalières, se sont enfouis dans le vaste pays comme le levain dans la pâte pour que lève l’Église en terre d’Amérique, déposant une semence qui a porté des fruits.
Jusqu’à la nomination de Mgr de Laval en 1658, l’Église en Nouvelle-France a été essentiellement missionnaire. Elle est devenue par la suite une Église coloniale, fidèle à la couronne anglaise, mais toujours très proche du peuple canadien-français. Institution dominante d’un peuple dominé, elle a organisé la vie en société pour que ce peuple parle français et reste catholique. Sans elle, que serions-nous devenus aujourd’hui ?
Les nombreuses communautés religieuses ont donné au Québec des institutions qui leur manquaient, comme les hôpitaux et les écoles. On ne le reconnaît pas assez, même si ce n’était pas parfait. Il y avait tellement de vocations à l’époque, à cause des familles nombreuses, que ces communautés ont essaimé à travers le monde.
Dans son homélie du 12 octobre à Rome, lors de la messe d'action de grâce pour Marie de l'Incarnation et François de Laval, le pape François disait: "La mémoire de qui nous a précédés a fondé votre Eglise féconde, celle du Québec, féconde de tant de missionnaires qui sont allés partout : le monde a été rempli de missionnaires canadiens. Maintenant, voilà le conseil : que cette mémoire ne nous conduise pas à abandonner l'assurance et le courage. Peut-être n’a-t-on pas de force. Le démon, l'envieux, ne tolère qu'une terre soit si féconde des missionnaires."
La Révolution tranquille
La Révolution tranquille a sorti le Québec de la Grande Noirceur, disent certains, même si elle fut inspirée en partie par des religieux comme le dominicain Georges-Henri Lévesque. Il est vrai que le catholicisme de nos ancêtres, si proche du jansénisme, a drainé dans son courant des vagues de culpabilité, loin de l’image d’un Dieu d’amour. À force de dénigrer le corps, de voir le mal partout, de parler du péché originel et de l’enfer, l’Église n’a pas toujours su montrer qu’il y avait une joie à croire.
Puis le concile Vatican II est arrivé en même temps que la Révolution tranquille. Peu de sociétés ont connu de tels changements en un si court laps de temps. L’Église d’ici a fait un effort de réinterprétation du message biblique en lien avec le monde, mais la sauce n’a pas pris. Pourtant, le christianisme n’est pas d’abord une éthique, mais une rencontre avec le Christ qui donne un sens à la vie. De grands événements comme la visite de Jean-Paul II en 1984 et la pérégrination des reliques de Thérèse de Lisieux en 2001 en témoignent.
Un malaise identitaire à affronter
Quand on oublie d’où l’on vient, il est difficile de savoir où l’on va, alors comment imaginer l’avenir du catholicisme québécois? Tant de noms d’écoles, de villages, de rues nous le rappellent. On voudrait faire fi de cette expérience religieuse en l’occultant de l’espace public et en la dénigrant. N’y a-t-il pas là un subtil règlement de comptes envers le clergé qui dure encore, comme si la tradition était ennemie de la modernité? On se prive ainsi d’une interprétation du monde, d’une ouverture au mystère, d’une voie d’accès à l’âme et à l’art, d’une sagesse de vie, d’une compréhension de l’histoire occidentale. Bach, Rembrandt et Hugo, par exemple, ne se comprennent bien qu’à la lumière de la tradition judéo-chrétienne.
En occultant la religion de la culture, le Québec se coupe de son passé et doit chercher ailleurs des valeurs communes pour subsister en tant que nation. C’est le lot de toute société en transition. Le poète Gaston Miron a lutté au nom du Québec pour ne pas être dépossédé de sa langue, d’autres mènent le même combat pour leur foi. On l’a vu avec tout le débat sur la charte de la laïcité, appelée charte des valeurs québécoises. J’en ai parlé abondamment sur ce blogue.
Le tabou de la religion
La religion peut devenir une arme de destruction massive lorsqu’on l’instrumentalise à des fins politiques. Mais elle peut aussi aider à bâtir la paix, comme l’ont fait Gandhi et Martin Luther King. Plusieurs Prix Nobel de la paix sont d’ailleurs des croyants. Le problème des religions vient surtout de l’interprétation fondamentaliste que l’on fait des textes sacrés. Quand chacun veut avoir raison, comment le dialogue est-il possible? Cela vaut aussi pour les athées, bien sûr.
La nature ayant horreur du vide, on remplace certains signes religieux au Québec par d’autres qui relèvent de sagesses orientales, de l’ésotérisme, si ce n’est du paranormal : karma, énergie cosmique, aura, écriture automatique, médiums, parler avec les morts autour d’une table…
Plusieurs cherchent une spiritualité sans Dieu. Il est vrai que les mots « Dieu » et « religion » sont piégés, surtout depuis le 11 septembre 2001. Ainsi, on parle de méditation, non de prière, de spiritualité, non de religion, de science, non de foi, de philosophie, non de Dieu, de sagesse, non de sainteté. Cela révèle tout de même la quête de sens et la soif spirituelle d’un bon nombre de nos contemporains.
La religion ne devrait être que de l’amour, sinon c’est une caricature, on l’instrumentalise à une autre fin. Il faut lutter contre cette perversion idéologique qui détourne la religion de son sens profond, celle de relier les êtres dans la prière, le pardon, la paix, le partage.
Le dynamisme de l’espérance
Le peuple québécois s’est éloigné du catholicisme et les médias parlent très peu de l’Église d’ici. Il y a un grand vide spirituel, un désenchantement du monde, une coupure dans la transmission de la foi où tout est relatif. Pourtant, le message chrétien de fraternité et d’espérance, de pardon et de service, n’est pas disparu de notre société. Des Québécois se sont réapproprié leur religion, vivent avec joie leur engagement de foi, célèbrent l’Eucharistie où le Christ se rend présent. Attentifs au dialogue de la foi avec la culture, ils imaginent de nouvelles manières d’être chrétien et de faire Église. La foi chrétienne n’est pas une possession tranquille, mais une lutte pour que la vie soit plus humaine, un engagement de tout l’être qui débouche sur la compassion, la justice, la miséricorde.
L’Église, au Québec et dans le monde, est à la croisée des chemins. Il lui faut une nouvelle évangélisation pour renouer avec ses racines profondes. Aux prises avec plusieurs scandales, elle doit revenir à l’Évangile des béatitudes, c’est-à-dire être moins mondaine et plus près des pauvres, moins endormie et plus énergique dans sa foi. Il faut qu’elle sorte de ses structures pour aller vers les autres qui sont en périphérie, laisser la bureaucratie pour l’évangélisation; une Église qui est moins cléricale et plus priante, pleine d’espérance et d’humilité, tous des thèmes chers au pape François.
Une partie de cet article est parue dans la revue Pastorale Québec, octobre 2014, et dans le 100e et dernier numéro de Prière, appel d'aurore, automne 2014.
Entendre également Le Grand témoin à Radio Notre Dame du 1er octobre (déjà en ligne).
Voir mon témoignage à Un coeur qui écoute de KTO du 20 octobre (en ligne le 20 octobre).
À propos de l'auteur
Marié et père de famille, poète et essayiste, son oeuvre comprend plus de 80 livres, parus au Québec et en Europe, et traduits en plusieurs langues. Il a enseigné vingt ans à l'Université Saint-Paul d'Ottawa. Il donne des conférences et retraites que l'on retrouve dans sa chaîne YouTube. Pour en savoir plus: Voir sa biographie.
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