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Le blogue de Jacques Gauthier

Une page d'Évangile à mon testament

Un jour, le directeur d'une revue consacrée à la prière m'a fait cette demande assez inusitée : "Quelle page d’Évangile aimeriez-vous annexer à votre testament pour vos enfants?"

Tout un rappel à la réalité. En effet, je peux mourir n’importe quand, mes enfants aussi. Cette pensée donne une densité au temps qui passe. J’ai déjà accueilli ma mort comme une grâce. Pour le moment, elle ne me fait pas peur. J’en ai témoigné dans un livre consacré à la mort de mon beau-père Fraternelle souvenance et dans un recueil de poèmes L’ensoleillé. Je peux vraiment dire, à la suite de François d’Assise, « notre sœur la mort corporelle », puisque c’est par elle que je pourrai enfin voir le Dieu que j'ai tant cherché ici-bas, d’autant plus que le Chist a ouvert le chemin par sa mort et sa résurrection. En lui, la vie n’est pas détruite, mais transformée.

Alors, quelle page d’Évangile ajouter à la fin de mon testament? J’ai d’abord pensé au beau récit des disciples d’Emmaüs (Lc 24, 13-32). C’est celui que je préfère dans la Bible et qui est propre à Luc. Le Christ marche sur la route en questionnant les deux disciples et en les écoutant. Il partage la Parole, puis il se révèle au soir tombant à la fraction du Pain. Mais ce n’est pas cette page que je choisis; on pourra toujours s’y référer dans le livre de méditations bibliques Notre cœur n’était-il pas brûlant?

Il m’est aussi monté à la mémoire l’émouvante rencontre de Jésus avec la Samaritaine autour du puits (Jn 4, 5-42). Voilà un passage qui pourrait toucher mes enfants. Jean est le seul évangéliste qui relate cette expérience personnelle du salut. Jésus évoque sa soif, « Donne-moi à boire » et il parle des adorateurs en esprit et en vérité. J’ai également commenté cette page dans un chapitre de J’ai soif. De la petite Thérèse à Mère Teresa. Peut-être mes enfants y feront un détour.

Je remarque que ces deux récits évoquent la figure de Jésus et son infinie miséricorde. À la suite des pèlerins d’Emmaüs et de la Samaritaine, je reconnais moi aussi que Jésus est le Christ, le Sauveur du monde. C’est lui qui est au cœur de ma vie et de ma mort. Ainsi, avant le souvenir de ces deux récits, c’est plutôt une parole de Jésus lui-même qui m’est monté au cœur et que je veux ajouter à mon testament : «Pour vous, qui suis-je?» (Mt 16, 15). Voilà la question que je veux léguer à mes enfants.

Qui est Jésus pour toi?

La question que Jésus adresse à ses apôtres, «Pour vous, qui suis-je?», se retrouve chez les trois évangiles synoptiques. Cela montre son importance, et elle m’est adressée personnellement. Je ne peux répondre que pour moi et non pour mes enfants. Bien sûr, je pourrais dire comme Pierre : «Tu es le Messie, le Fils du Dieu vivant». D’autant plus que Jésus le déclare heureux d’avoir si bien parlé puisque cela lui a été révélé par son Père. Pourtant Jésus ne veut pas savoir ce que les autres pensent de lui, mais bien ce qu’il est pour moi. Je réponds par trois mots: visage, présence, quête.

Un visage

Dieu s’est fait visage en l’être humain son image. Jésus, c’est d’abord cela pour moi, le visage de Dieu : «Qui m’a vu a vu le Père» (Jn 14, 9). L’être même du Père se révèle dans l’apparaître de son Fils. Il atteste la divinité de Jésus lorsque l'Esprit descend sur lui au Jourdain : "C'est toi mon Fils: moi aujourd'hui je t'ai engendré" (Lc 3, 22). Ce visage du Christ me fascine depuis l’enfance. Il a rayonné sur moi lorsque tout jeune je revenais de l’Eucharistie. Il m’a ébloui un 2 juin 1972, à Drummondville, alors que je faisais du stop, en route vers la Californie. J’ai basculé dans la joie, ravi du dedans par ce visage qui me transformait en son amour. Aujourd'hui, je le vois dans sa Parole qui me travaille et dans son Église qui me brûle, alors mes yeux s’ouvrent. Le désir d’aimer, si ancré dans nos quêtes de sens, est comblé en Jésus et son mystère pascal. Ce visage a pris chair dans celui de mon épouse avec qui je partage la vocation à la sainteté depuis trente-quatre ans. Les enfants et les petits-enfants ont jailli de notre alliance, prolongeant celle de Dieu avec nous.

Une présence

Jésus, c’est le Vivant qui marche avec nous comme sur le chemin d’Emmaüs. Il est la Présence dans laquelle je reconnais « l’être étonnant que je suis » (Ps 138, 14). La résurrection ne concerne pas seulement l’après-vie ; elle est déjà commencée en cette vie. Plus je sais qui je suis, plus je suis présent à la Présence. C’est en elle que je rencontre vraiment l’autre, le prochain, l’enfant, dans ce qu’il a de beau et d’unique. Cette présence du Ressuscité m’enveloppe, mais c’est de nuit, sous forme d’absence. Elle m’apporte sens, espérance et joie. Elle me garde dans la foi obscure, de l’aube jusqu’au crépuscule. Dieu est là, je suis là : beauté du mystère. J’y crois et j’espère. C’est une braise ardente qui me fait communier au cœur ouvert du Christ en croix, la plus belle parole d’amour jamais dite. Présence eucharistique où Dieu n’est qu’Amour et lavement des pieds.

Une quête

Jésus le Christ, visage et présence, je le cherche sans cesse, pour que l’ayant trouvé je le cherche encore plus. Il me manque et je crie vers lui : « Seigneur, apprends-moi à prier » (Lc 11, 1). Chaque matin je vis un temps d'oraison intérieure en répétant dans le silence : « Viens, Seigneur Jésus! » (Ap 22, 21) Il relance ma quête avec les saints et les témoins que j’aime et qui me tirent en avant. La douce Marie a une place de choix dans cette quête de joie. Avec mon épouse, j’égrène les Ave pour nos enfants, nos amis et tous ceux qui nous sont confiés, surtout les plus démunis. La quête du Christ n’est jamais terminée, au sein de l’épreuve comme aux jours de bonheur.

Jésus : un visage, une présence, une quête. Un nom aussi. Il murmure le mien avec amour depuis mon baptême, se cache sous ma signature, m’attend dans sa miséricorde. Jésus : mon mot de passe, le dernier que je dirai avant que le ciel ne s'ouvre. «Aujourd’hui, avec moi, tu seras dans le Paradis» (Lc 23, 43). Qu’importe où se trouve ce Paradis, l’essentiel c’est le «avec moi». Être avec Jésus, tout est là, car « tout est grâce ».

Je désire partager ce paradis avec mon épouse, mes enfants et petits-enfants, mes amis aussi, qu’ils soient de Facebook ou non. Je le demande au Seigneur, même si je ne suis pas toujours un paradis sur terre. Je sais que sa miséricorde épouse toutes nos misères et que sa lumière entre en nous par nos blessures. À chacun et chacune d’en faire l’expérience. Ainsi, la parole d’intimité, «Pour vous, qui suis-je?», annexée à mon testament, peut devenir pour mes enfants, comme elle l’a été pour moi, Nouveau Testament et Bonne Nouvelle.

Et vous, quelle page d'Évangile aimeriez-vous ajouter à votre testament?

 Ce texte est paru en partie dans Prière, appel d'aurore, été 2012, et dans Prions en Église, 13 janvier 2013, p. 36-37.

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jeudi 12 décembre 2024

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