Chaque JMJ est un grand happening de la foi qu’on a souvent qualifié de « Woodstock catholique », la drogue en moins, ou de « catho pride ». C’est un pèlerinage avec ses rites et ses symboles. Des centaines de milliers de jeunes des cinq continents se rassemblent pendant une semaine pour célébrer et approfondir leur foi par des catéchèses, témoignages, messes, veillées. Jean-Paul II et Benoît XVI sont allés à la rencontre de ces jeunes afin de les encourager dans leur foi au Christ et leur donner la fierté d’être catholiques.

En renonçant humblement au ministère de Pierre quelques mois avant les JMJ de Rio, Benoît XVI a passé le bâton de pèlerin à un autre. Et François le jésuite est arrivé avec sa musique franciscaine, plus proche du jazz que du classique, tant il aime improviser. Premier pape latino-américain, homme de tradition et d’engagement social, il a vite conquis les cœurs au Brésil dès sa descente d’avion par son style chaleureux et spontané, sa simplicité et son énergie. Homme libre, il fallait le voir deux jours plus tard, en direct sur YouTube, rayonnant de joie dans la favela de Rio, fustigeant la corruption, touchant et embrassant les gens qui se pressaient autour de lui, comme Jésus en son temps.

Des catholiques décomplexés

Ce sont les jeunes qui font les JMJ, mais le pape est un peu le chef d’orchestre de ce festival de la foi. Ça agace certains qui trouvent qu’on donne trop d’importance à cet événement, que ça coûte très cher et que pour l’écologie, on repassera. « Le pape prend tellement de place qu’on tombe dans la papolâtrie », disent-ils. On est plus indulgent envers d’autres vedettes et festivals, mais voir des jeunes catholiques décomplexés dans leur foi, ça détonne en cette ère médiatique. Je ne pense pas que François va succomber à cette tentation d’être une star. Lui, il ne brille pas, il éclaire, sa lumière vient d’un autre. Dès le début de son pontificat, il a précisé que ce n’est pas le pape qui est au centre de l’Église, mais le Christ, le répétant au million de jeunes jeudi soir sur la plage de Copacabana : « Mets le Christ dans ta vie ».

On a vécu le même engouement durant le conclave. Govanni Magi de Euronews avait demandé à la philosophe et psychanalyste Julia Kristeva pourquoi une telle audience? « Je crois qu'il y a une grande demande de la part de la société moderne, qui est une société qui manque de sens, et qui manque de pères. Nous manquons de sens, parce que nous ne croyons plus à la politique, nous ne croyons plus à la finance. L'humanisme, que je représente, a du mal à se refonder. Nous connaissons la solidarité plus ou moins, mais n'arrivons pas à la réaliser. La religion catholique nous dit que c'est possible et nous, qui ne croyons pas, nous voyons. »

La joie de croire

Le Saint-Père exerce avec brio sa paternité, que ce soit aux JMJ ou ailleurs. Il est le pontife qui bâtit des ponts et propose la solidarité entre les nations. Dès son arrivée à Rio, il a dit aux jeunes de se laisser attirer par Jésus Christ : « Le Christ a confiance en vous et vous confie sa propre mission ». Il les a mis en garde contre les idoles éphémères qui se substituent à Dieu : l’argent, le pouvoir, la drogue, le plaisir. On n’entend pas souvent un tel message de nos jours, tant chacun tient à son autonomie. Pourtant, le pape propose plus une rencontre qu’une morale, une expérience de joie et d’espérance : « Le chrétien ne peut être pessimiste ! Il n’a pas le visage d’une personne qui semble être en deuil permanent ».

C’est ce qui frappe aux JMJ, cette joie de croire. L’anthropologie nous révèle que les gens ont besoin de fêter, d’exprimer leur foi, de prier ensemble, de rencontrer des témoins qui soient près d’eux. Plusieurs jeunes en ont témoigné dans le journal Le Monde. L’expérience des JMJ a donné à plusieurs la force d’assumer leur foi dans une société où le catholicisme est souvent critiqué, voire ridiculisé, alors qu’on refait sans cesse le procès de l’Église. Il y a d’ailleurs un malaise à parler de religion, tant le sujet est tabou. Le croyant passe parfois pour un arriéré, un illuminé. Aux JMJ, il s’approprie sa foi, l’exprime librement sans être jugé, découvre la beauté de la prière. Les jeunes se rendent compte aussi qu’ils ne sont pas seuls à croire, que la foi est vécue dans d’autres cultures. L’aspect mondial de ce grand rassemblement les marque pour longtemps, et bien sûr, il y a l’émotion de voir le pape.

Une Église des pauvres

Cela peut nous sembler exagéré de voir les jeunes crier devant le pape, d’autres pleurer. Question de sensibilité ! Mais qui sommes-nous pour juger? Les JMJ ont toujours été une expression populaire de la foi. Car c’est de cela qu’il s’agit ici : chants religieux, sacrement du pardon, chemin de croix, adoration du Saint-Sacrement, vigile, chapelet, messe. Le pape François est sensible à cette piété populaire, lui qui a placé son pontificat sous la protection de la Vierge Marie dans la basilique Notre-Dame d’Aparecida.

L’Église est à la croisée des chemins. Aux prises avec plusieurs scandales, elle doit revenir à l’Évangile des béatitudes, c’est-à-dire être moins mondaine et plus près des pauvres, moins endormie et plus énergique dans sa foi. Il faut qu’elle sorte de ses structures pour aller vers les autres qui sont en périphérie, laisser la bureaucratie pour l’évangélisation; une Église qui est moins cléricale et plus priante, espérante, juste, tous des thèmes chers au cardinal Bergoglio. Il a demandé aux pèlerins argentins qui étaient à Rio, au risque d’en déplaire à plusieurs, de se rendre dans les rues et de répandre leur foi.

"Qu'est-ce que j'attends comme conséquence de la Journée mondiale de la jeunesse? J'espère de la pagaille! Va-t-il y avoir de la pagaille ici? Oui! Est-ce qu'ici à Rio il va y avoir de la pagaille? Oui! Mais je veux de la pagaille dans les diocèses! Je veux que vous alliez à l'extérieur! Je veux que l'Eglise sorte dans les rues! Je veux que nous nous gardions de tout ce qui est mondanité, installation, de tout confort, de tout cléricalisme, de toute fermeture sur nous-mêmes. Les paroisses, les écoles, les institutions, sont appelés à sortir! S'ils ne sortent pas, ils deviennent une ONG et l'Eglise ne peut pas être une ONG." (Lire le texte sur Zenit)  

En choisissant le nom de François, le « pape des pauvres » écoutait son cœur, désirant réformer l’Église comme le pauvre d’Assise. Il lui a déjà fait prendre tout un tournant en quelques mois. Les JMJ de Rio auront été un microcosme de ce que l’Église est appelée à vivre.

Lire aussi mon essai, L'aventure de la foi: quinze variations, (Parole et Silence).

L'article est paru dans Le Devoir, Montréal, 29 juillet et dans Le Soleil, Québec,  31 juillet.
Il est paru égaglement dans La Croix, Paris, 21 août, p. 22.