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Le blogue de Jacques Gauthier

Le malaise religieux

Émission du 4 janvier 2011

 

Pourquoi existe-t-il un malaise religieux?

 

Il y a un malaise identitaire, surtout au Québec, et ce ne sont pas des commissions ou des lois qui vont le régler. Cette crise d’identité est une opportunité de croissance, puisqu’elle nous pousse à poser des questions, à exercer notre jugement, à revoir nos positions, à écouter le point de vue de l’autre, à chercher ensemble la vérité, à prendre des décisions. Donc, à changer, à grandir, à s’adapter, à devenir, ce qui est le propre de la condition humaine. Je m’en tiendrai surtout au Québec, car c’est le milieu que je connais le mieux.

Un malaise religieux

Ce malaise identitaire, qui relève autant de l’espace intime que collectif, est surtout d’ordre religieux et symbolique, d’où ces deux questions : « Comment vivre ensemble dans un Québec pluraliste, ouvert à tant de cultures, si nous ne savons pas d’où nous venons et où nous allons? Comment imaginer l’avenir, si notre présent ne prend pas en compte l’héritage chrétien et les mythes fondateurs qui ont façonné le Québec d’hier? »

Aujourd’hui, le catholicisme paraît absent de la vie publique. Son grand récit de libération inspire tout de même encore plusieurs croyants. Il fut le berceau de notre culture. On ne réalise pas jusqu’à quel point la société et l’Église du Québec sont nées de mystiques et de missionnaires passionnés du Christ qui ont vécu des valeurs de don de soi, de bonté, de pardon, de fraternité et d’accueil des plus démunis. Qu’on pense à Marie de l’incarnation, à Marguerite Bourgeoys, et à tant d’autres.

Est-il possible de faire un retour serein de ce que fut notre identité chrétienne et de décider ce que nous voulons en faire? Mais les blessures sont profondes. La Révolution tranquille a sorti le Québec de la Grande Noirceur, disent certains, même si elle fut inspirée en partie par des religieux comme le dominicain Georges-Henri Lévesque, fondateur de la Faculté des sciences sociales de l’Université Laval. Il est vrai que le catholicisme de nos ancêtres, si proche du jansénisme, a drainé dans son courant des vagues de culpabilité, loin de l’image d’un Dieu d’amour. À force de dénigrer le corps, de voir le mal partout, de parler du péché originel et de l’enfer, l’Église n’a pas toujours su montrer qu’il y avait une joie à croire.

Puis le concile Vatican II est arrivé en même temps que la Révolution tranquille. Peu de sociétés ont connu de tels changements en un si court laps de temps. L’Église d’ici a fait un effort de réinterprétation du message biblique en lien avec le monde, mais la sauce n’a pas pris. On ne se débarrasse pas des vieux démons d’une morale étriquée en quelques décennies, même si le christianisme n’est pas d’abord une éthique, mais une rencontre avec Dieu, comme le souligne le pape Benoît XVI dans l’introduction de sa première encyclique Dieu est amour : « À l’origine du fait d’être chrétien, il n’y a pas une décision éthique ou une grande idée, mais la rencontre avec un événement, avec une Personne, qui donne à la vie un nouvel horizon et par là son orientation décisive ».

Tradition et modernité

Qu’on le veuille ou non, notre ancrage comme peuple distinct parlant français en Amérique vient de la rencontre avec le christianisme. Quelques-uns voudraient évacuer cette réalité de notre imaginaire et déraciner ainsi tout un peuple. Tant de noms d’écoles, de villages, de rues nous le rappellent. On voudrait faire fi de cette expérience religieuse en l’occultant de l’espace public et en la dénigrant. N’y a-t-il pas là un subtil règlement de comptes envers le clergé qui dure encore, comme si la tradition était ennemie de la modernité? On se prive ainsi d’une interprétation du monde, d’une ouverture au mystère, d’une voie d’accès à l’âme et à l’art, d’une sagesse de vie, d’une compréhension de l’histoire occidentale.

Bach, Rembrandt et Hugo, par exemple, ne se comprennent bien qu’à la lumière de la tradition judéo-chrétienne. En occultant la religion de la culture, qu’elle soit marchande ou pas, le Québec se coupe de son passé et doit chercher ailleurs des valeurs communes pour subsister en tant que nation. C’est le lot de toute société en transition. Le poète Gaston Miron a lutté au nom du Québec pour ne pas être dépossédé de sa langue, d’autres mènent le même combat pour leur foi.

Accommodements et laïcité

Une saine laïcité ne peut s’épanouir qu’en respectant les croyances religieuses et en les intégrant dans la sphère publique. Sinon, la porte est grande ouverte au sectarisme. Ce respect commence par un rapport sain avec sa propre religion historique faite d’appartenances, d’expériences et de traditions. Ce qui explique peut-être que la majorité des parents demande toujours l’enseignement religieux catholique pour leurs enfants. Pour s’ouvrir à l’autre en vérité, il faut savoir qui je suis et d’où je viens.

On s’est donné bonne conscience envers les minorités par des accommodements dits raisonnables, mais le ton se durcit de plus en plus et ça retombe sur le christianisme. « Pas de religion en public », entend-on. D’autres s’écrient : « Cachez ces signes que je ne saurais voir » : crucifix à l’Assemblée nationale, vêtements religieux dans les lieux publics, sapins de Noël, crèches, fête variable de Pâques, marches du pardon le Vendredi saint, croix de chemin, messes en plein air… Mais comme la nature a horreur du vide, on remplace ces signes par d’autres qui relèvent de sagesses orientales, de l’ésotérisme, si ce n’est du paranormal : karma, énergie cosmique, aura, écriture automatique, médiums, parler avec les morts autour d’une table…

La spiritualité fourre-tout, ça passe aujourd’hui, mais non la religion, trop liée à l’intransigeance. Plusieurs veulent une spiritualité sans Dieu. Il est vrai que les mots « Dieu » et « religion » sont piégés, surtout depuis le 11 septembre 2001. Ainsi, on parle de méditation, non de prière, de spiritualité, non de religion, de science, non de foi, de philosophie, non de Dieu, de sagesse, non de sainteté. Cela révèle tout de même la quête de sens et la soif spirituelle d’un bon nombre de nos contemporains.

La religion peut devenir une arme de destruction massive lorsqu’on l’instrumentalise à des fins politiques. Mais elle peut aussi aider à bâtir la paix, comme l’ont fait Gandhi et Martin Luther King. Plusieurs Prix Nobel de la paix sont d’ailleurs des croyants. Le problème des religions vient surtout de l’interprétation fontamentaliste que l’on fait des textes sacrés comme la Bible ou le Coran. Quand chacun veut avoir raison et garder le dernier mot, comment le dialogue est-il possible? Cela vaut aussi pour les athées, bien sûr.

Jacques Grand’Maison, qui a étudié la société québécoise depuis 50 ans avec une espérance têtue, propose de bâtir un nouvel humanisme, où le « vivre ensemble » n’exclut pas les gens d’origines et de cultures différentes, avec ou sans allégeance religieuse. (Société laïque et christianisme, Novalis). Le défi est de taille, et le juste milieu difficile à trouver. Comment dialoguer et faire route ensemble si les croyants se cachent dans leur bulle religieuse, sûrs d’avoir raison, et si les autres se raidissent dans une laïcité qui refuse toute expression religieuse dans l’espace public, d’autant plus que les symboles n’ont pas le même sens pour tous? Peut-être qu’un peu de poésie et de philosophie ne nuirait pas au dialogue. La foi n’est pas ennemie de la raison lorsqu’il s’agit de s’ouvrir au mystère.

Je termine en puisant dans l’imaginaire de deux cinéastes québécois qui ont abordé le « croire » dans leurs films. Dans Les invasions barbares, Denys Arcand illustre tragiquement le vide spirituel qui existe au Québec. Les personnages montrent qu’il n’y a plus rien à transmettre, sauf un peu d’amitié, reste alors le scepticisme, le désespoir et le relativisme. C’est le désenchantement total, d’où le cri poignant de Rémy qui se meurt du cancer: « Où est le sens? ».

Bernard Émond ne ridiculise pas la foi catholique dans La Neuvaine. Ce film lumineux relève le pari de réconcilier le Québec avec la religion. Le jeune croyant et la femme médecin non croyante sont sur le même quai, près de la basilique Sainte-Anne-de-Beaupré, face aux mêmes questions de la souffrance et de la mort, mais ouverts au silence du mystère et à une possible transcendance. Ici, il y a accueil, dialogue, ouverture, respect, rencontre. Et si c’était l’image de la société de demain?

Pour voir l'émission du 4 janvier, 3e partie, cliquez http://www.radio-canada.ca/emissions/c_est_ca_la_vie/2010-2011/ Ou allez sur tout.tv, cliquez http://rc-www.tou.tv/c-est-ca-la-vie/S2010E72

Salons du livre
La mort, et après?
 

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