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Le blogue de Jacques Gauthier

Le tabou de l'avortement

28 janvier 1988. La Cour suprême du Canada légalise l'avortement. Vingt-cinq ans déjà et il n'y a pas lieu de célébrer, le sujet reste tabou. Aucune loi n'encadre cette pratique, car aucun gouvernement ne veut s'y frotter. L'avortement demeure un sujet hautement émotif qui divise les Canadiens. Chaque fois qu'il y a un projet de loi touchant le statut juridique du foetus, les oppositions sont farouches. C'est polarisé à l'extrême, comme si tout était réglé. Or, tel n'est pas le cas, à moins de jouer à l'autruche. 

D'un côté du ring, on retrouve les militants des groupes «pro-choix» qui ont peur qu'on ouvre le débat, de l'autre côté, ceux de «pro-vie» qui veulent que ça change. Difficile de concilier le droit des femmes de disposer de leur corps et le droit de l’enfant à naître. Ne réveillons pas trop la conscience, de peur qu'elle nous empêche de dormir. Le cadre juridique actuel étouffe les questions éthiques et "des intuitions morales n'arrivent plus à se dire", lit-on dans un article étoffé du Devoir du 26 janvier 2013, où l'on parle d'avortements qui ont lieu trop tard et du risque d'eugénisme: "Depuis 25 ans, avorter n'est plus un crime. Interdit levé, mais tabous créés".

Le foetus n'a pas de droits

Toutes les initiatives parlementaires pour changer les règles ont été vouées à l'échec. Il n'existe toujours aucune limite au droit à l'avortement au Canada, même chose pour la Corée du Nord et la Chine. Comme liste on a déjà vu mieux. On avorte au-delà de 25 semaines, alors que le foetus est viable. Lise Ravary écrit dans son blogue: "Ici, en théorie, une femme peut se faire avorter jusqu’à cinq minutes avant son accouchement, et ce, pour n’importe quelle raison". (Il faut baliser l'avortement) En même temps, on réanime des bébés du même âge dans les unités de soins néonataux.

Le problème vient que le foetus n'a aucun droit au Canada: "c'est un être humain virtuel", disait le docteur Morgentaler. Par exemple, ce n'est pas un double crime de tuer une femme enceinte; non plus de contraindre une femme à obtenir un avortement. Par contre, n'essayez pas de mettre sur pied un comité parlementaire pour étudier quand commence la vie, c'est non. Le droit d'avorter est acquis, n'en parlons plus. Bientôt, il y aura un projet de loi pour condamner les avortements dits sexo-sélectifs visant à se débarrasser des foetus féminins. Même si cela concerne directement le droit des femmes, nos élus auront encore peur de légiférer pour ne pas ouvrir le débat sur l'avortement. Ce n'est pas rentable en matière de votes.

Le droit acquis et normalisé défie toute logique et toute morale. À preuve, les avortements en cas de malformation, comme c'est le cas pour la trisomie 21. Le test sanguin de dépistage est gratuit au Québec. On sait qu'en France, sur 92% de cas détectés, 96% d'entre eux se terminent par un avortement. Un programme de dépistage est moins cher pour l'État que d'aider ces enfants à naître et d'accompagner les parents. Quand une société se débarrasse ainsi des plus faibles au début de la vie, la loi lui donne le cadre nécessaire pour le faire aussi à la fin de la vie. Cette logique de mort déshumanise la société, éloigne la paix. Éliminer les êtres que la société juge comme "indésirables", parce que la population est rendue là,  amène à des dérives comme l'eugénisme. C'est ainsi que l'idéologie prime sur la raison, le droit sur le don de soi, la tristesse sur la joie. 

Personne n’est pour l’avortement, dit-on souvent. Une femme interrompt seulement une grossesse non désirée parce que l’enfant n’est pas le bienvenu pour le moment. On parle d’IVG (interruption volontaire de grossesse), mot qui fait moins mal que l’autre. On fait aussi un glissement sémantique en parlant "d'aide médicale à mourir", expression moins troublante que l'euthanasie. On peut bien changer le sens des mots, la réalité demeure: éliminer une vie.  Être contre l’IVG, dans l’esprit de plusieurs, c’est être contre les femmes, même s’il peut y avoir des relents de machisme à inciter les femmes à avorter. Mais jusqu'où a-t-on le droit de vie ou de mort sur l'autre?

Le dialogue est-il possible dans un tel contexte de suspicion? L’avortement est tellement tabou qu’il suscite peu de recherches universitaires. Ce n’est pas politiquement correct d’en parler, de poser des questions, de relever, par exemple, la souffrance des femmes qui ont avorté, de peur de les culpabiliser.

Le silence d’une souffrance

L’avortement a été décriminalisé au Canada par la Cour suprême, suite aux avortements clandestins qui minaient la santé physique, psychologique et morale des femmes. On voulait respecter le choix des femmes et leur assurer de meilleures conditions pour mettre fin à leur grossesse. La santé physique des femmes n’est plus en danger aujourd’hui. Mais qu’en est-il de leur santé psychologique et morale? Même si la loi autorise l’IVG, dit-on aux femmes qu’elle génère une souffrance?

L’avortement est un acte médical dont on refuse de reconnaître la violence. Les femmes sont-elles assez informées des séquelles d’un tel acte, intimement lié à la loi et à l’éthique, au sens de la vie et de la mort, aux croyances et aux valeurs? Plusieurs se retrouvent seules, face à leur conscience. Les arguments qui justifiaient un tel acte tombent souvent à plat. Qui peut comprendre cette blessure intime qui touche une dimension importante de la femme, la maternité? Qui peut entendre la plainte de ces mamans qui se demandent un jour : « Quel âge aurait-il aujourd’hui? »

Je ne juge pas ces femmes et je ne veux pas tomber dans le pathos, même pour les avortements tardifs, sexo-sélectifs, thérapeutiques ou pour anomalie foetale. Je sais que certaines d’entre elles s’en tirent assez bien. Tout dépend de la situation et de la sensibilité de chacune. Cette parole de Jésus, destinée un jour à une femme blessée dans son âme et dans son corps, inspire mon attitude : « Que celui d’entre vous qui est sans péché lui jette le premier une pierre » (Jn 8, 7).

Mais il suffit de jeter un coup d’œil aux sites féminins sur Internet à la rubrique « Avortement » pour lire des témoignages émouvants de la souffrance de ces femmes endeuillées. Elles se sentent souvent abandonnées par la société. Des livres récents de psychologues et de soignants lèvent le voile sur ce drame intérieur des femmes à qui on leur refuse le droit d’exprimer leur peine. Loin de moi de vouloir jouer sur la vulnérabilité de ces femmes, mais les écoutons-nous, les accueillons-nous?

Un problème de société

Pourquoi le nombre d’avortements a-t-il doublé en 10 ans? En France, près d’une femme sur deux a avorté, d’après un sondage de l’Institut BVA. Selon ce même sondage, où l’on a interrogé 1000 femmes au début de janvier 2005, 86% de celles-ci estiment que l’IVG laisse des traces psychologiques difficiles à vivre, et 83% voudraient que la société aide davantage les femmes à éviter le recours à l’IVG.

Au Québec, nous ne sommes pas très loin de ces chiffres. Il y a un peu plus de 30 000 avortements par année, payés par nos impôts, près de 100 000 au Canada. Le taux au Québec est passé de 7,3 en 1976 à 29,7 en 2011. Ce ne sont nécessairement de jeunes filles qui avortent, mais des femmes de plus de 30 ans. Si l’enfant n’est pas « programmé » ou désiré, c’est presque rendu un devoir d’avorter. Nous nous exterminons volontairement. Y aura-t-il assez d’immigrants pour tenir le fort? 

On a banalisé un acte médical qui n’a rien d’anodin pour les femmes, ni pour les médecins non plus, formés à sauver des vies. Même Simone Veil, l’instigatrice de la loi de l’avortement en France, admet que c’est un échec de voir autant d’avortements. La généralisation de la contraception en a fait un moyen de contraception comme les autres. A-t-on pensé développer une politique de prévention de l’avortement qui ne se réduit pas seulement à la promotion de la contraception? De son côté, Henry Morgentaler, qui estime avoir réalisé 100 000 avortements, a toujours refusé d’avorter après la 24e semaine. Si c’est devenu un bébé à tel mois de grossesse, parce que viable, qu’en est-il avant, alors que nous savons d'après la science que la vie commence dès la conception? Le statut ambigu de l’embryon et du fœtus occasionnera encore bien des discussions.

Des solutions de vie

Si la famille et l’entourage de la femme enceinte n’étaient pas si empressés de suggérer l’avortement, il y en aurait moins, car les femmes se sentiraient soutenues et moins seules. Y a-t-il une vraie liberté de choix quand on n’envisage même pas la possibilité de garder l’enfant? Si on valorisait la maternité et la paternité, dans les médias et ailleurs, s’il y avait plus d’argent pour aider les mères dans le besoin, il y aurait peut-être plus de naissances. Le Québec fait des pas encourageants dans ce sens avec les congés parentaux. Sans rêver aux familles d’antan, ne faut-il pas retrouver le sens de la famille? Et si des femmes le désirent, pourquoi ne pas leur parler de la possibilité de confier leur enfant à l’adoption?

Il devrait exister plus de lieux, comme des centres d'aide à la grossesse, pour accueillir les femmes qui ont à prendre la décision d’avorter ou non, et les écouter sans les juger lorsque la décision est prise. Cet accompagnement pourrait se faire par téléphone et courriel, lors des rencontres ou des sessions. Des personnes compétentes devraient être à leur disposition en plus grand nombre pour les aider à évacuer le sentiment de culpabilité, à soigner cette blessure de vie qui laisse des traces jusque dans l’inconscient. Il en va de notre avenir.

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mercredi 22 mai 2024

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