Le blogue de Jacques Gauthier
École de prière (47) L'oraison avec Thérèse d'Avila
Thérèse de Jésus (1515-1582), mieux connue sous le nom de Thérèse d’Avila, chercha Dieu dans le château intérieur de son âme en prenant la porte de l’oraison. « Nous pouvons considérer notre âme comme un château, fait d’un seul diamant ou d’un cristal parfaitement limpide, et dans lequel, il y a beaucoup d’appartements, comme dans le ciel il y a bien des demeures » (Le Château intérieur 1, 1). Docteur de l’Église depuis 1970, Thérèse n’a pas fini de nous livrer ses secrets. L’Église la considère comme la mère des spirituels. Nous célébrons sa mémoire liturgique le 15 octobre.
S’entretenir avec Dieu
Thérèse entre au carmel de l’Incarnation d’Avila à l’âge de 20 ans et découvre qu’en se recueillant, elle fixe son attention en Dieu qui la comble par son amour et sa paix. L’oraison devient le lieu de l’amitié et de l’intimité avec le Christ dont elle se sait aimée. Distraite par des amitiés mondaines, elle abandonne l’oraison pendant une douzaine d’années. Elle y revient en lisant les Confessions de saint Augustin. La fécondité de son expérience va s’exprimer par des fondations de nombreux carmels et par l’écriture.
Thérèse distingue l’oraison vocale de l’oraison mentale, mais précise que nous avons besoin de l’une et de l’autre pour grandir dans la connaissance et l’amour du Christ. Ce n’est pas d’avoir la bouche ouverte ou fermée qui fait que nous sommes en prière, mais d’avoir le cœur entièrement occupé de Dieu. Il y a oraison, qu’elle soit vocale ou mentale, lorsque l’esprit et le cœur sont appliqués à ce que nous disons et faisons.
Si Thérèse reconnaît l’utilité de la prière vocale, qui peut aussi mener à la contemplation par la grâce de Dieu, elle va surtout recommander l’oraison mentale, silencieuse. Elle en parle en termes d’amitié, d’entretien, de réciprocité amoureuse, de pont entre Dieu et elle. Pour faire des progrès dans l’oraison, écrit-elle, « l’essentiel n’est pas de penser mais d’aimer beaucoup; ainsi donc, attachez-vous de préférence à ce qui enflammera davantage votre amour » (Le Château intérieur IV, 1, 7).
Le soubassement de l’oraison
Thérèse parle de ce qu’elle vit. « C’est l’exemple qui compte, l’oubli de soi » (Chemin de perfection 7, 8). Elle n’impose pas ses vues, elle donne des conseils. Elle sait que le Seigneur conduit les personnes par ses propres voies. Il y a une grande liberté dans la pratique de l’oraison thérésienne. Pour bien se préparer à l’oraison, elle suggère trois points : « Le premier est l’amour mutuel; le deuxième, le détachement de tout ce qui est créé; le troisième, l’humilité véritable » (Chemin de perfection 4, 4). Lorsque le pont de l’oraison repose sur de telles fondations, nous sommes bien disposés à recevoir l’eau vive que le Christ veut nous donner.
Certaines personnes prient en méditant, d’autres non. Celles qui méditent se représentent Jésus, dans l’un ou l’autre de ses mystères, afin que le cœur soit touché. Thérèse donne ce conseil : « Une chose qui pourra vous être d’un grand secours, c’est d’avoir avec vous une image, un portrait de Notre-Seigneur, qui soit à votre convenance. Mais ayez-le pour vous entretenir fréquemment avec lui, non pour le porter sur vous sans jamais le regarder. Notre-Seigneur lui-même vous fournira ce que vous devez lui dire » (Chemin de perfection 26, 9).
Un livre peut aussi s’avérer une aide précieuse lorsqu’on a l’impression de tourner en rond dans l’oraison. Prendre un extrait de l’Évangile relance souvent notre prière. Mais plus l’oraison se simplifie, plus le livre nous tombe des mains. Encore ici, le témoignage de Thérèse est éloquent : « Je lis très peu, car, dès que je prends un livre, j’entre dans un recueillement savoureux, de sorte que la lecture se change en oraison » (Les Relations 1, 7).
L’oraison de recueillement
Une image, un livre, la méditation d’une scène de l’Évangile, un simple regard porté vers Jésus ne sont que des moyens qui nous préparent à l’intériorité, au silence intérieur, à l’oraison de recueillement. Ainsi, nous disposons-nous à l’oraison par sa propre volonté, en fermant les yeux. « On l’appelle oraison de recueillement, parce que l’âme y recueille toutes ses puissances et se retire au-dedans d’elle-même avec son Dieu. Par cette voie, plus rapidement que par aucune autre, son divin Maître l’instruira et lui accordera l’oraison de quiétude » (Chemin de perfection 28, 4).
Cette voie différente de la méditation convient aux personnes qui n’ont plus d’attrait pour méditer. Elles ne se représentent plus rien, ne fixent plus leur esprit sur un mystère quelconque, mais restent inactives, souvent dans la sécheresse, présentes à la Présence. C’est une oraison de simple regard qui prépare à l’oraison surnaturelle, à cette attention amoureuse et silencieuse au Christ qui conduit au Père.
Le recueillement n’est pas un but en soi, mais un moyen pour rencontrer Dieu à l’intérieur de soi. On ne cherche pas les grâces de Dieu, mais le Dieu des grâces. On entre en intimité avec lui comme avec un ami. Thérèse appelle cette prière l’oraison mentale, pour la distinguer de la prière vocale. Mais le mot « mentale » est ambigu. Cette oraison n’est surtout pas affaire de tête et d’intelligence, mais de cœur. Mère Teresa en témoigne : « Lors de la prière vocale, nous parlons à Dieu; lors de la prière mentale, Il nous parle. C’est à ce moment qu’Il se transfuse en nous » (Il n’y a pas de plus grand amour, Libre Expression, 1997, p. 21).
L’oraison surnaturelle
L’oraison surnaturelle est un don. Le Christ nous recueille en lui et nous partage l’eau vive de la contemplation. Cette action de Dieu commence à la quatrième demeure du château intérieur de l’âme. Pour Thérèse, cette oraison est synonyme de contemplation. « J’appelle surnaturel ce qui ne peut s’acquérir ni par acte ni par effort, quelque peine que l’on prenne pour cela. Quant à s’y disposer, oui, on le peut, et c’est sans doute un grand point » (Les Relations 5, 3).
De l’oraison de recueillement, la personne passe à l’oraison de quiétude où la volonté s’unit à celle de Dieu, sans que l’intelligence n’y comprenne quoi que ce soit. Tout cela se vit dans la solitude et s’accomplit dans la douceur, où, sans paroles, le cœur brûle d’amour. C’est le repos en Dieu.
Tous sont invités à cette oraison surnaturelle, nous dit Thérèse : « Sachez-le, à ceux qui renoncent à tout pour son amour, Dieu se donne très réellement lui-même. Il ne fait pas acception des personnes. Il aime tout le monde. Dès lors qu’il en a usé à mon égard, qu’il m’a conduite où je me trouve aujourd’hui, nul, si misérable qu’il puisse être, n’a d’excuse à présenter » (Livre de vie 27, 12).
La sainte utilise le symbole de l’eau pour illustrer la progression dans l’oraison. Pour recevoir l’eau vive de la contemplation, elle trouve quatre manières d’arroser le jardin de l’âme. Ce sont autant de degrés ou d’étapes dans la vie d’oraison. La méditation constitue la première étape : « Les personnes qui commencent à faire oraison, nous pouvons bien le dire, tirent l’eau du puits, et c’est un rude labeur » (Livre de vie 11, 9)
Avec le recueillement, l’âme touche déjà au surnaturel. « La volonté seule se trouve occupée, et sans savoir comment elle se rend captive, elle se laisse emprisonner par Dieu, bien assurée de tomber au pouvoir de Celui qu’elle aime » (Livre de vie 14, 1-2).
L’étape suivante concerne l’oraison de la quiétude qui est un sommeil des sens et des facultés, une plongée confiante dans l’eau de la grâce. « L’âme se plonge dans la paix ou, pour mieux dire, le Seigneur l’y plonge par sa présence. Alors toutes les puissances s’apaisent » (Le Chemin de perfection, 31, 2).
Dernière étape selon Thérèse, l’oraison d’union, dans laquelle l’amour s’unit à l’amour. « Cette eau qui tombe du ciel tombe souvent au moment où le jardinier s’y attend le moins. Dans les commencements, il est vrai, c’est presque toujours à la suite d’une longue oraison mentale » (Livre de vie 18, 9). Dans cette oraison d’union, la personne est transformée dans l’Aimé. Sa volonté s’unit à lui dans un « mariage spirituel ». Elle laisse Dieu vivre et agir en elle, devenant elle-même source d’eau vive féconde.
Cet article est paru en deux parties dans le mensuel Magnificat d'octobre et de novembre 2016.
Pour en savoir plus sur la vie de Thérèse d'Avila, cliquez sur ce lien de mon blogue.
Pour aller plus loin: Henri Caffarel, maître d'oraison (Cerf); Guide pratique de la prière chrétienne (Presses de la Renaissance); Expérience de la prière (Parole et Silence).
Vidéo de 32 minutes de ma chaîne YouTube, ajoutée le 15 mai 2020.
À propos de l'auteur
Marié et père de famille, poète et essayiste, son oeuvre comprend plus de 80 livres, parus au Québec et en Europe, et traduits en plusieurs langues. Il a enseigné vingt ans à l'Université Saint-Paul d'Ottawa. Il donne des conférences et retraites que l'on retrouve dans sa chaîne YouTube. Pour en savoir plus: Voir sa biographie.
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